Magazine Beaux Arts

Allez-y les yeux fermés…

Publié le 28 février 2009 par Marc Lenot

vides004.1235745229.JPG…ou ouverts, ça ne changera rien.

Depuis quelques jours (et jusqu’au 23 mars), au delà d’un seuil métallique devenu une frontière très visible, les salles du fond au 4ème étage du Centre Pompidou sont Vides, entièrement vides. Repeintes pour l’occasion, elles n’offrent rien au regard, sinon leur architecture, leur espace, et, devenus dès lors hyper-visibles, leurs signes d’évacuation ou leurs thermostats.

Quelques commentaires recueillis en micro-trottoir:
- “C’est bien la preuve de l’inanité de l’art contemporain, qui n’a rien à montrer; on ferait mieux de restaurer le patrimoine” (Jean C.)

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- “Bravo à Beaubourg de bien s’adapter à la crise et de faire des expositions peu coûteuses; encore que six commissaires grassement payés pour produire du vide, c’est trop” (Nicolas S.)
- “Quel bel espace ! on va venir y boire des bières, fumer des joints et jouer de la gratte” (un étudiant de Paris 7)
- “C’est l’aporie et le négatif de l’envers des choses, dans une situation postmoderne de l’appréciation du contour du néant” (XX).

C’est donc une exposition sur le vide, ou plus exactement sur des expositions vides. Le critère d’inclusion fut très strict : les expositions avec éclairage, sonorisation (comme celle-ci), ondes

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magnétiques (comme celle-là actuellement visible au Palais de Tokyo) ou modification de l’espace ont été impitoyablement exclues. Restent donc neuf souvenirs d’expositions vides, neuf salles vides, neuf contenants pour montrer une absence de contenu. A ceci près que, ‘la nature ayant horreur du vide’, le soir du vernissage, un des murs a été tagué (ci-contre) et une salle a été
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squattée par des ‘performeurs’ (ci-dessous).

Tout d’abord, il me semble dommage que, dans l’espace de l’exposition, les expositions vides initiales soient quasiment présentées hors contexte. Il n’est pas indifférent que la première exposition du parcours, celle d’Yves Klein en 1958, se soit déroulée dans une galerie commerciale dont les murs extérieurs avaient été peints en bleu, que l’orchestre de la Garde Républicaine ait joué là et que le cocktail servi aux visiteurs eût eu pour conséquence de colorer l’urine des buveurs en bleu. Or tout cela est évacué de l’exposition, considéré comme détail anecdotique, inintéressant, risquant de détourner l’esprit de la pureté du concept : en fait, nous avons là une sorte de hold-up déshistoricisant des expositions passées, remises au carré par les six co-commissaires. Il n’est de même pas indifférent que l’exposition vide de Maria Eichhorn à Berne en 2001 fut un acte politique, questionnant le musée et les pouvoirs publics en tant qu’acteurs économiques : elle rendit le budget prévu pour sa propre exposition à la Kunsthalle afin qu’y soient plutôt effectués des travaux de rénovation.

Ce n’est pas avec les brefs textes sur les murs que vous découvrirez ce qu’il y a au delà du vide (in)visible dans les salles. Il faut pour cela lire l’excellent catalogue de plus de 500 pages, très plein, lui

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(à l’exception de la page 27), qui, d’une part présente l’histoire de huit des neuf expositions commémorées (celle de Stanley Brouwn est “off-limits”, “no comment”), et d’autre part regroupe près de 50 essais sur l’histoire du vide, du rien, de la vacuité, de l’invisible, de l’ineffable, du rejet, de la destruction, que je suis en train de savourer. La librairie de l’étage le présente d’ailleurs de manière tout aussi ‘vide’ (ci-contre), surplombant les piles promotionnelles des livres de certains des commissaires.

Des neuf expositions, ma favorite est celle de Laurie Parsons en 1990. Se retirant du monde de l’art, elle organise une exposition vide dans sa galerie, dont le carton d’invitation n’indique ni son nom, ni les dates, et elle enlève ensuite toute mention de cette exposition dans sa propre biographie. Ce retrait, ce renoncement me paraissent d’une nature similaire à ceux de l’artiste déclarant fausses ses oeuvres passées, un questionnement radical de leur position face au monde de l’art.

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J’ai somme toute deux regrets, qui font que ce vide sonne hélas un peu creux : d’abord, s’il y a bien eu quelques films projetés le premier jour seulement et de beaux livres blancs exposés à la Bibliothèque Kandinski (dont un assemblage de pages blanches par Yann Sérandour), il n’y a pas de silence. On pense bien sûr à John Cage, mais aussi, plutôt qu’à Mieko Shiomi (partition ci-dessus; son interview silencieuse occupe
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quelques pages du catalogue), à Isabelle d’Este et sa devise du silence néo-platonicienne dans son studiolo de Mantoue (ci-contre, cliquez pour mieux voir), mais l’horizon historique des co-commissaires ne remonte peut-être pas jusqu’au XVIème siècle.

Et la danse vide, ce serait quoi ?

Mon autre regret est que toute l’approche ou presque (à part deux textes du catalogue) soit occidentale : pour nous le vide est un manque, un négatif. Le hasard fait que je lis actuellement ‘Le Vide et le Plein’ de François Cheng: dans la peinture chinoise, vide et plein sont indissociables. C’est une autre vision, qui semble bien absente de l’univers conceptuel présent ici (à part une vague allusion au mysticisme de Klein, l’homme qui priait Sainte Rita pour que ses expositions aient du succès). Je conclurai donc en citant Fan Chi, d’après François Cheng : “On croit en général qu’il suffit de ménager beaucoup d’espace non peint pour créer du vide. Quel intérêt présente ce vide s’il s’agit d’un espace inerte ? Il faut en quelque sorte que le vrai Vide soit plus pleinement habité que le Plein”. Est-ce le cas ici ?

Photos de l’auteur. La partition de Mieko Shomi provient du catalogue de l’exposition. L’illustration de la devise du silence d’Isabelle d’Este provient du livre ‘Symboles de la Renaissance’, tome 1, Presses de l’Ecole Normale Supérieure, p.87.


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