Contes de l'ordi sacré : Logarithme et Monogramme 3

Publié le 28 février 2009 par Porky

Episode 3 : Où une Princesse de Conte de fée est obligée de se réveiller toute seule, ce qui ne la met pas vraiment de bonne humeur.

Dissoudre la boue dans l'eau chaude ne fut pas une mince affaire mais le Prince Logarithme finit par retrouver figure humaine. Puis, épuisé par la tension nerveuse, il se coucha dans son grand lit orné de taies blanches et de rideaux pourpres et s'endormit. Au matin, il s'éveilla non pas avec une autre idée en tête, comme on aurait pu le croire, mais avec la même à laquelle il avait cependant apporté quelques modifications.  Il descendit prendre son petit-déjeuner et la vacuité humaine de cette grande salle lui donna une fois de plus envie de pleurer. Afin d'éviter toute attaque impromptue de déprime, il s'empiffra de tartines de Nutella puis, après s'être un peu lamenté sur le fait qu'il passait son temps à se gaver et qu'il allait prendre cinquante kilos, il revêtit ses plus beaux atours et sortit sur la terrasse du château. Là, il s'étira de toutes ses forces. La matinée était superbe et notre Prince Charmant sentit tout à coup son moral remonter de quelques crans. Puis, d'un pas assuré, il se dirigea vers le bord de la rivière. Cette dernière l'accueillit avec un gloussement ironique et dédaigneux. « Ah ! Revl'a l'autre mongolien ! dit-elle. Il n'a toujours pas renoncé à ses projets stupides ! » « Tiens ta langue au frais, ô flotte insane ! répliqua Logarithme. Je ne t'ai pas demandé ton avis. » Et d'un geste toujours aussi élégant que puissant, il jeta une deuxième bouteille dans les flots. « Et ça recommence ! dit la rivière en se gondolant. Je vais te la casser en moins de deux, ta bouteille ! » « Alors ça, ça m'étonnerait, tas de gouttes avariées, répliqua Logarithme. J'ai suivi ton conseil, j'ai pris un récipient  en plastique. Tu l'as dans l'os, hein ? » Dépitée, la rivière gronda encore plus fort puis s'arrêta quand elle se souvint que, de toutes façons, le message n'avait guère de chances de trouver un(e) destinataire.

Le nez collé sur sa boule de cristal, Gudule, très en colère, se livrait à d'affreuses contorsions. Pas moyen de faire confiance à cette imbécile de rivière ! Elle bavardait à tort et à travers et elle était capable de donner au prisonnier des idées certes tordues, mais suffisamment efficaces pour qu'il pût s'échapper. L'atroce Gudule était d'autant plus furieuse que la boule lui avait permis de voir ses trois ennemies s'approcher à bride abattue du domaine. D'accord, le Servile Séide était prêt à passer à l'attaque, mais saurait-il les arrêter ? Elle se redressa et tendit la main sur la boule. « Roule du sang, rivière à la manque ! Je ne t'ai pas mise là pour que tu donnes de pareils conseils à Logarithme. Et tâche d'épouvanter les trois connasses qui arrivent ! »

Le Charmant Logarithme fut très étonné de voir la rivière s'agiter tout à coup de la manière la plus désordonnée qui fût, et son eau claire et froide se transformer en sang putride et impur. « Tiens, murmura-t-il. Il y a là quelque chose d'assez inhabituel. Ce sang a une jolie couleur rouge mais il sent  un peu mauvais. Regagnons donc le château, nous attendrons notre alter ego sur la terrasse. »

Pendant que le Prince attendait patiemment en se curant les ongles, la rivière charriait son sang impur qui n'abreuvait aucun sillon et la situation semblait vouloir s'éterniser. La nuit tomba tout à coup sur le domaine enchanté. « Déjà, pensa Logarithme. Finalement, le temps passe assez vite », et il monta dans sa chambre, titubant de sommeil.

On l'aura bien sûr compris, le domaine enchanté étant sous le pouvoir de Gudule, c'était la sorcière du château d'Onyx Noir qui avait plongé le château et son île dans l'obscurité de la nuit. Elle ne voulait pas que Logarithme assiste à l'arrivée de Marsupilania et de ses compagnes. Et si les ténèbres recouvraient le domaine, le jour brillait encore de tous ses feux sur la rive opposée. Le lecteur se souvient sans doute des événements survenus dans le conte précédent : à peine arrivées, ces dames se firent kidnapper par le Servile Séide et emmener au château d'Onyx Noir, à l'exception de la Belle Monogramme, foudroyée elle aussi par l'aérosol maléfique. Mais lorsqu'elle se réveilla...

... Elle se demanda d'abord où elle se trouvait. Que fichait-elle donc là, couchée dans l'herbe, avec cette robe de princesse de conte de fée ? Se redressant sur ses coudes, elle se dit que le bord de mer avait bien changé depuis qu'elle s'était endormie. Puis, elle se souvint vaguement, mais très vaguement, qu'elle était chargée de délivrer un ahuri qui s'appelait... qui s'appelait... Borborygme ? Non, ce n'était pas ça. Gastrite ? Non... Punaise, ce qu'elle pouvait avoir mal à la tête ! Mais quel était le nom de cet abruti ?... Lobotomie ?... « Ca y est ! Logarithme, nom d'un chien ! Il s'appelle Logarithme ! Vous parlez d'un nom ! » Elle se releva péniblement. « Si j'avais seulement un cachet d'aspirine sous la main... Qu'est-ce que ce gros con de Servile Séide a bien pu flanquer dans son aérosol ?... »

Cette dernière phrase prouvait indubitablement que la mémoire lui était revenue. Du moins la mémoire immédiate car son lointain passé était toujours aussi obscur. « Il y avait aussi les deux autres folles ! dit-elle à voix haute. Où sont-elles passées ? Et l'ordi sacré, avec ses photos ineptes... » Il n'y avait plus rien de tout cela. Ne restait que le fier Uno, attaché à un arbre, qui dardait sur elle ses yeux verts et globuleux. « Elles ont dû être emmenées par l'autre taré, pensa Monogramme. Tant mieux. J'ai trop mal à la tête pour supporter leurs criailleries. »

Elle s'obligea néanmoins à battre taillis, buissons et herbes folles et finit par se convaincre qu'elle était bel et bien toute seule. Cet exercice physique avait fait disparaître son mal de tête mais elle se sentait de très mauvaise humeur. « Et je fais quoi, maintenant ? grommela-t-elle. J'ai l'air fin avec cette robe et cette collerette ! Je ne sais même pas où il est, ce crétin de Prince Charmant ! » Elle avait beau tourner la tête de tous les côtés, aucun Logarithme en vue. Elle s'approcha de la rivière et la contempla un instant, étonnée. « Tiens, c'est pas courant. Une rivière de sang impur ! En tout cas, ça pue ! On se croirait dans une salle d'opération. » L'idée qui lui traversa l'esprit la fit tout à coup frissonner d'horreur : « Ne me dites pas que je vais être obligée de traverser ce gourbi pour délivrer l'autre naze ! » s'écria-t-elle. « C'est pourtant ce qui t'attend, dit la rivière avec un haut le cœur. Tu m'as l'air aussi douée intellectuellement que l'idiot du château. Vous êtes faits pour vous plaire, tous les deux ! » La Belle Monogramme montra aussitôt qu'elle avait des nerfs d'acier car elle ne s'évanouit pas en entendant la rivière lui adresser la parole. Tout au plus haussa-t-elle légèrement ses sourcils noirs. « Depuis quand une rivière a-t-elle le don de la parole ? Et comment puis-je comprendre ce qu'elle clapote ? » « Et depuis quand une Princesse de conte de fée se mêle-t-elle de vouloir comprendre quelque chose à son histoire ? » rétorqua la rivière. « Tu m'ennuies, sang impur, laisse-moi réfléchir, dit la Belle Monogramme. Il est absolument hors de question que je fasse une seule tentative pour passer de l'autre côté. Il va donc falloir que ce soit Logarithme qui vienne à moi. D'ailleurs, c'est beaucoup plus conforme à la tradition, et sans tradition, tout va à vau-l'eau, tu es bien d'accord, flotte écarlate ? Mais comment faire ?... » Au même moment, son regard fut attiré par un objet étrange qui flottait sur les flots rouges et passait devant elle à toute allure. « Qu'est-ce que c'est que ce truc ? demanda-t-elle. Ca, là, ce que tu charries ! » La rivière crachota. «  Ha ! C'est un message écrit par ton Prince Charmant, un appel au secours », répondit-il. « C'est idiot, fit Monogramme. Tu entoures le château. Son message va forcément aller nulle part. » « Va donc le lui dire toi-même, moi j'y renonce, répliqua la rivière. Tiens, regarde, Princesse à la gomme ! Voilà Logarithme qui sort de son splendide château. » La Belle Monogramme craignait de relever la tête : le Prince était peut-être Charmant, mais il ne semblait pas très dégourdi, l'histoire du message le prouvait. Qu'allait-elle découvrir ?...

(Enfin, l'alter ego est arrivée ! Il ne reste plus à nos deux héros qu'à se rencontrer. Certes. Mais quelle sera l'atmosphère de cette rencontre ? Un obstacle ne surgira-t-il pas sur le chemin de notre futur couple sublime ? Patience, les réponses arrivent bientôt...)