Belle-Vue, Gironville et Bolaire : un trio diaboliquement bon!

Par Eric Bernardin

L'histoire commence simplement. Sur le forum la Passion du Vin, le responsable du Château Belle-Vuepropose de faire visiter son domaine.  Je lui dis que je passe devant chez lui une fois par mois lorsque je me rends dans le Médoc. Why not? Finalement, nous prenons rendez-vous pour le 25 février à 17h. Je pensais y passer une petite heure, car je venais d'avoir une journée chargée, et deux heures de route à faire. J'y suis resté trois heures. Je pensais boire des vins bien faits, assez classiques. Je suis ressorti étourdi, heureux, avec le goût du Belle-Vue qui a persisté en bouche durant tout le voyage du retour... Mais commençons par le début.



Le Château Belle-Vue est un domaine de 11ha situé à Labarde, coincé entre Cantemerle etGiscours. Mais le style général du vin fait immanquablement penser à la Lagune "version Caroline Frey", également à deux pas. Les vignes sont plantées à 7.000 pieds/ha avec un encépagement assez atypique : 50% de cabernet sauvignon, 27% de merlot, 20% de petit verdot et 3% de carmenère. Longtemps intégré au Château de Gironville, celui-ci a repris son "indépendance" en 1996, même s'il est encore vinifié aujourd'hui dans ce château. Si Rémy Fouin a donné l'impulsion de départ, l'arrivée en 2004 de Vincent Mulliez a permis de donner au domaine les moyens de ses ambitions. A savoir un cuvier digne de ce nom qui a permis de faire un travail innovant en la matière. Et un chef d'orchestre en la personne de Vincent Bache Gabrielsen (arrivé quelques mois avant le rachat ) qui a osé ...l'inimaginable!



Ca ne s'est pas fait du jour au lendemain. Cela a démarré par des conseils prodigués par Daniel LLose de Lynch Bages qui a une winery juste en face du domaine. Suite à des difficultés d'extraire, il avait suggéré de pratiquer des délestages. Cela consiste à vider la cuve de tout son jus, puis de le reverser sur le chapeau de marc. Cela permet de le destructurer et de profiter au mieux de toute la matière qu'il contient. Le déléstage a une réputation assez moyenne dans le Médoc. Peu de grands châteaux avouent en faire, l'estimant souvent trop violent (Latour en fait tout de même trois sur le grand vin). Prenant à contre-pied tout ce qui se fait dans le beau-médoc, il est décidé progressivement de l'appliquer à tous les vins en excluant toute autre forme d'extraction (remontage ou pigeage). Et pas une fois de temps en temps. Plusieurs fois par jour. Le plus génial étant peut-être de séparer le marc et le moût chaque nuit pour qu'ils redécouvrent le plaisir d'être ensemble le lendemain matin  Plus sérieusement, cela signifie que durant quasiment la moitié du temps de sa fermentation, le moût n'a pas ce lourd chapeau de marc qui l'étouffe, l'oppresse. Etonnant, non?

Si l'on rajoute que l'essai de pré-macération à froid de 3 semaines sur le petit verdot en 2007 a été super concluant et généralisé sur une bonne partie de la vendange en 2008. On obtient au final des vinifications uniques dans le Médoc, voire ... dans la galaxie 


La malo se fait partiellement en barriques (dans celles qui sont neuves) ; le reste en cuve. L’élevage est assez court (12 à 15 mois) mais à mon sens adapté à la matière des vins produits ici. 
Il y en a fait trois différents : Belle-Vue dont nous avons parlé jusqu’à maintenant. Gironville, situé légèrement à l’ouest sur des terres plus sableuses, et enfin Bolaire, situé sur « l’île de Macau » au bord de la gironde (un bras du fleuve qui a été asséché). Ce dernier a une proportion importante de petit verdot (40%), cépage traditionnel des palus médocains. Il est complété par du merlot afin de l’assouplir un peu. Trois châteaux, donc, avec des sols et des encépagements différents. Cela donne des vins possédants des personnalités vraiment dissemblables, même si l’on sent une trame commune liée à la patte du vinificateur.



La dégustation

Petit préambule : au départ, en goûtant les 2005, j'avoue avoir eu des doutes sur les méthodes utilisées. J'ai trouvé qu'il y avait une belle matière, mais que ça manquait de finesse. Je me suis dit "hum, les délestages, c'est pas ça...". Et puis en goutant ensuite les millésimes suivants, j'ai eu l'impression que les processus se sont affinés et qu'il y a de plus en plus de maîtrise. Il y a bien sûr des effets millésimes. Il est possible que le 2005 soit remarquable dans quelques années, mais pour l'instant, il n'est pas prêt. 
Belle-Vue 05 : Beaucoup de fraîcheur au nez sur la griotte, les fruits noirs, les épices. Bouche ample, structurée avec des tannins tapissant le palais. Ce serait superbe si le grain était plus raffiné. La finale plutôt asséchante. 
Belle-Vue 06 : nez plus fin, encore marqué par l'élevage (moka). Bouche fraîche, fruitée, pulpeuse aux tannins veloutée. Fin mâchue et épicée. 
Bolaire 07 : nez "ténébreux"  profond, fruits noirs, suie, poivre de séchuan. Bouche gourmande, charnue sensuelle. Fin assez ferme. Mais que c'est bon! 
Gironville 07 : nez frais et vif, marqué par un superbe élevage. Bouche fine, élégante, expressive, soutenue par une fine acidité. Bonne persistance. Classe
Belle-Vue 07 : nez complexe floral, fruité presque confit, épices. Bouche ronde, ample, bien mûre, d'une grande intensité. Equilibre parfait. Loooong. Super! 
Bolaire 08 : nez très mûr, épicé, alliant puissance et finesse. Bouche charnue, douce, gourmande. Finale saline. Slurp
Gironville 08 : nez plus aérien, avec beaucoup de charme. Bouche pas encore en place. A attendre. 
Belle-Vue 08 (Merlot) : nez confit, très mûr, pointe d'encens. Bouche mûre, crémeuse, sensuelle. Que du bonheur! 
Belle-Vue 08 (Cabernet Sauvignon) : nez au fruit généreux, épicé. Bouche ample, ronde, très douce. Trame superbe. Grande persistance.Dur à croire que c'est du cabernet! 
Belle-Vue 08 (Petit Verdot) : nez plus incisif, fin , droit. Bouche longiligne, avec une structure cristalline d'une précision diabolique, et un fruit d'une grande pureté. Jouera cette année le rôle du cabernet, vu que celui-ci se prend pour un merlot  
Belle-Vue 08 (Assemblage représentatif) : nez fin, percutant, dans l'esprit de celui du petit verdot. Plus complexe toutefois. Bouche ample, mûre, sensuelle, avec une tension et un équilibre frôlant la perfection. Une merveille de vin, avec certainement peu de concurrents dans le Médoc. C'est sûr. J'en prends au moins une caisse. A condition que Vincent l'enlève assez rapidement des barriques. Ce serait moi, je le mettrais direct en bouteille 



Une bien belle rencontre avec ce domaine, et peut-être plus encore avec Vincent BG. Ces trois heures de discussions sont passées à une vitesse sidérante, et si je n'avais pas regardé ma montre, on serait encore en train de discuter deux jours plus tard  
 
Au vu de la qualité des vins, il me paraît  évident que l'on entendra beaucoup parler de Belle-Vue dans les années qui viennent