Tous les deux jours je vais nourrir Kwitchi au mas depuis que Joe est parti livrer ses toiles en Suisse. Il faut la foi, parce que je n'ai pas aperçu la minette depuis une semaine. Un rapace lui a peut-être montré à voler. Dans ces randos, nous sommes parfois trois, parfois deux, aujourd'hui j'étais seul. J'ai fait le grand tour par Quissac et je suis revenu par Durfort. J'avais envie de faire des kilomètres. Les plantes se réveillent, fiévreuses, et la terre sent l'épice. Je me suis affalé sur une chaise de bambou après avoir rempli les écuelles. Le soleil chauffait ma peau. Je me suis mis presque nu, seul au sommet de cette colline désertée. L'odeur de ma chair s'éveillant du blanc sépulcre me remplissait d'optimisme et de hâte. J'ai regardé la Gaxuche et je lui ai fait, comme ça :
— Qu'est-ce qu'on va se bidonner, ma gracieuse ! J'espère que t'as faim, y a un festin en amont.
J'ai repris la route, impressionné par le calme en moi. Je regardais les vallons dénudés et j'imaginais la Kwitchi en train de se sauver d'un faucon affamé. Puis je songeais au cœur affolé d'une petite bête que des serres soulèvent vers le ciel.
— C'est ainsi.
Ensuite nous sommes redescendus doucement sur Sauve tout au creux de la vallée et je me suis surpris à ressentir une voluptueuse paix de l'âme. J'ai beau fouiller ma mémoire, je ne me souviens plus de m'en être déjà souvenu.© Éric McComber