Contes de l'ordi sacré : Logarithme et Monogramme 2

Publié le 27 février 2009 par Porky

Episode 2 : Où il est démontré qu'un Prince Charmant n'a pas forcément de bonnes idées.

Notre Prince charmant beau jeune homme brun se mit à réfléchir intensément à sa situation. Voici quelques idées (prises au hasard) qui lui traversèrent l'esprit : « Si je me jetais à l'eau et nageais vers l'autre rive ? Oui, mais sais-je nager ? Je n'en sais rien. Peut-être possédé-je la particularité de mon fer à repasser qui coule chaque fois que je veux le faire flotter dans la baignoire. Pour le savoir, il faudrait essayer. Mais si je me noyais ? Ce serait stupide de mourir si jeune et si ignorant des choses essentielles de la vie. D'ailleurs, qu'est-ce qui est essentiel, dans la vie ? Si seulement j'avais un peu d'expérience, je pourrais éventuellement répondre à cette question. Je vais quand même essayer de nager, on ne sait jamais. » « Fais ça, et tu te noies dans la seconde, crétin ! » chantonna la rivière qui elle, à la différence des miroirs, savait parler. Science qui ne lui servait pas à grand-chose dans la mesure où notre Prince Charmant était incapable de comprendre son langage. Son chant ne fut donc pour lui qu'un bruit d'eau comme un autre. « Finalement, se dit notre héros en regardant les flots tumultueux, mieux vaut ne pas tenter le sort. Il doit y avoir d'autres moyens pour quitter cet endroit qui, au fond, est nettement moins paradisiaque qu'il le paraît. »

Et soudain, une idée le transperça comme un trait de lumière. « Je sais ! s'écria-t-il en cessant de gémir. Je sais comment trouver mon alter ego. Je vais écrire un message, le mettre dans une bouteille et le jeter dans la rivière. Quelqu'un finira bien par le trouver et je serai délivré ! » La rivière émit un gigantesque éclat de rire qui se traduisit par une vague plus énorme que la précédente. « Ton idée est encore plus idiote que toi, glouglouta-t-elle. Je te rappelle que je ceins ton domaine en un cercle parfait. De sorte que si tu jettes ta bouteille à l'est, tu la récupéreras forcément à l'est, si tu la jettes au sud, tu la récupéras au sud, et tutti quanti. Dois-je te faire un dessin, ô Prince Demeuré ? » Le beau Prince Charmant ne voulut pas tenir compte de cet avis qu'il n'entendit d'ailleurs pas. Il se releva et se dirigea vers son superbe château, bien décidé à appliquer coûte que coûte cette solution lumineuse.

Pendant ce temps, dans le château d'Onyx Noir perché en haut d'une montagne plus haute que l'Everest et battu par les vents de neige et de glace, l'Ignoble Gudule contemplait, avec un sourire carnassier aux lèvres, sa boule de cristal dans lequel elle espionnait tous les faits et gestes du Charmant Logarithme. « Rivière, ô ma rivière, garde-le bien au chaud, empêche-le de s'enfuir, fais de ton eau un barrage infranchissable ! De toutes façons, tu n'as pas le choix, si tu me trahis, je te fais rouler du sang impur ! Il va craquer ! Il a tout oublié et il est malheureux comme les pierres des chemins ! » Elle éclata d'un rire sinistre et maléfique. « Ah ! Sa souffrance est un baume sur mon cœur ! Chiale, connard ! » Et de nouveau, le rire démoniaque retentit. Puis, se jetant sur sa cornemuse, elle commença à massacrer l'Hymne à la joie, juste pour le plaisir d'entendre des fausses notes.

Sur le plan physique, notre Prince Charmant était absolument parfait. Même sa tendance à voir apparaître autour de sa taille de disgracieux pneus ne parvenait pas à altérer son charme et sa beauté. Mais sur le plan du caractère, Logarithme était affligé de quelques défauts, insignifiants pour la plupart, mais dont le plus spectaculaire était une redoutable propension à l'entêtement qui, parfois, confinait à l'obstination la plus obtuse. Cela contribua donc fortement à lui faire exécuter un plan, qui, comme la rivière l'avait prédit, avait toutes les chances de rater. S'étant douché et rasé, il s'assit devant son bureau, prit sa plume d'oie, la trempa dans l'encre noire et commença à rédiger son message sur le plus beau parchemin qu'il avait pu trouver.

« Ceci est un appel à l'aide ! Je m'appelle Logarithme, j'ai autour de ... ans, je suis beau, bien fait, intelligent, cultivé et prisonnier d'un château enchanté. Que celui ou celle qui trouvera ce message vienne me délivrer. Ce n'est pas difficile, il suffit de remonter le cours de la rivière. Mon domaine vous attend et moi aussi. Je serai à qui se présentera tellement j'en ai marre d'être seul. (Précision importante : ça dépend évidemment de qui viendra à mon secours. Singes, animaux, débiles mentaux, autres princes charmants  et pervers s'abstenir.) Merci d'avance. »

Ces quelques lignes lui parurent résumer parfaitement sa situation. Il parapha le parchemin d'un gribouillis infâme qui ressemblait davantage à un serpent de mer en proie à la colique qu'à une signature. « Il ne me reste plus qu'à trouver une bouteille, se dit-il. Et après, à attendre. Heureusement que je suis d'un naturel paisible et réfléchi. Qu'eussent fait d'autres excités à ma place ? »

La cave du splendide château regorgeait de bouteilles vides. Ayant introduit son message à l'intérieur de l'une d'elles, puis l'ayant dûment scellée à l'aide de son chewing-gum, il se dirigea vers le bord de la rivière ; d'un geste aussi élégant et que puissant, le Charmant Logarithme lança sa bouteille dans les flots. Elle s'écrasa dans le courant impétueux, ressurgit à la surface et se fracassa contre un rocher. Le message de Logarithme se noya en quelques secondes. « Oh non ! s'écria-t-il en tombant à genoux. Je suis maudit ! » « Tu es surtout de plus en plus stupide, dit la rivière. Il ne t'est pas venu à l'esprit de prendre une bouteille en plastique, puisque tu tiens à ton idée débile ? Tu aurais au moins eu le plaisir de voir passer et repasser ton œuvre. » « Je n'y arriverai jamais », gémit le pauvre Logarithme et il s'effondra à terre, le nez dans la boue.

Mais, comme le dit si bien la sagesse populaire, aucune douleur, si forte soit-elle, n'est éternelle. Aussi notre Prince finit-il par se relever et essayer de regarder autour de lui. La boue lui ayant fait un masque absolument hideux, il distinguait à peine le paysage autour de lui. « Il faut que je rentre me laver, dit-il à voix haute. Je ne peux pas réfléchir dans cet état. » « Crotté ou non, tu seras toujours aussi con », murmura la rivière qui s'amusait beaucoup. Mais Logarithme, tout à coup, se mit à comprendre le langage des éléments naturels.  La remarque de la rivière lui déplut fortement. « Ferme-là, saleté ! » répondit-il vigoureusement.  Et Il leva le poing. Un gros morceau de boue se détacha de sa main et vint atterrir dans les flots argentés. « Ah l'abominable individu ! gronda la rivière. Voilà qu'il lance une attaque aérienne contre moi !  Tu ne perds rien pour attendre, gadoue ! » « Va te faire tarir ! » cria Logarithme, courroucé au plus haut point et il se dirigea d'un pas très vif vers son château, ravi de s'être pour une fois vautré dans la vulgarité.

(Notre Prince Charmant aura-t-il une autre idée, un peu moins consternante que celle décrite dans le récit ? La guerre entre la rivière et lui aura-t-elle de funestes conséquences ? L'alter ego va-t-il/elle bientôt surgir ? La suite au prochain numéro...)