Par Yves Cadiou
Dans son édito de février où il aborde plusieurs questions d’actualité le Général Delort, président de La Saint-Cyrienne, ne néglige pas de parler de tel regroupement d’anciens militaires qui pousse à une banalisation du statut des militaires. Il s’en désolidarise, avec modération mais sans ambiguïté. Il a raison, tant pour le fond que pour la forme.
L’été dernier le Général Guy Parayre, Directeur de la Gendarmerie, a mis fin à une ébauche de syndicat illégal initiée par quelques Gendarmes. Ce qu’il faut souligner, c’est que le Général Parayre l’a fait peu avant son départ en retraite, ne laissant pas ce problème à son successeur : régler les problèmes avant de partir, c’est un comportement qui paraît normal quand on est militaire. Je n’ai jamais observé la même chose en vingt ans de carrière dans la fonction publique. Les militaires auraient tort de se banaliser.
Il nous faut cependant parler de la question syndicale, ne serait-ce que pour faire observer que ses promoteurs disent ou écrivent n’importe quoi. Récemment, quelqu’un a cru pouvoir s’autoriser à affirmer qu’il existe« une zone de non-droit » dans l’armée française. S’il l’avait fait sur un blog perso, l’affirmation serait passée inaperçue. Mais elle a été diffusée par un « grand journal parisien ». Je mets les guillemets sans contester que c’est un journal parisien.
Concernant le statut militaire, un argument qu’il faut réfuter est celui selon lequel il ne serait pas conforme à la Constitution. Je l’évoque parce que c’est un sophisme qui ressurgit périodiquement. Lorsqu’on l’entend pour la première fois, il surprend et coupe le souffle : toutes les apparences de la logique, mais les apparences seulement. Voyons ça de plus près, pour ne pas se laisser couper le souffle face à des gens qui ne manquent pas d’air.
Le statut militaire ne serait pas conforme à la Constitution parce que celle-ci pose le principe de la liberté d’association. Elle ne prévoit aucune restriction à cette liberté, à l’inverse du droit de grève qui s’exerce « dans le cadre des lois qui le réglementent ». Par conséquent pour nos sophistes, l’interdiction syndicale et politique prévue par le statut (le statut est une loi) est anticonstitutionnelle.
Mais l’argument n’est pas recevable. Certes, n’importe qui a le droit d’affirmer que le statut n’est pas conforme à la Constitution. N’importe qui a le droit de l’affirmer parce que la liberté d’opinion et d’expression est constitutionnelle, elle aussi. Mais l’affirmation de nos sophistes n’est rien de plus qu’une opinion, elle n’a aucune valeur juridique. Ceci parce qu’il existe un organisme, et lui seul, qui peut décider qu’une loi n’est pas conforme à la Constitution : c’est le Conseil Constitutionnel. Or le Conseil Constitutionnel n’a jamais déclaré que le statut militaire n’est pas conforme à la Constitution. Donc le statut est conforme et le débat est clôt. Pas tout à fait clôt pour moi : du fait que nos sophistes se piquent d’être de fin juristes, ils connaissent parfaitement les éléments du débat. Ce qui conduit à s’interroger sur leur honnêteté.
Au-delà du juridisme, il y a le bon sens et la pratique. Le bon sens, c’est que le citoyen, quand il s’engage, accepte de se placer sous statut militaire pour la durée de son contrat. C’est librement qu’il le fait, ce qui interdit d’arguer que le statut militaire porterait atteinte à la liberté.
La pratique, on peut la constater en fréquentant son ancien Régiment dans le cadre de l’Amicale régimentaire : les jeunes parlent aisément avec les retraités qui les écoutent, pourquoi mentiraient-ils. L’on constate que les relations hiérarchiques sont respectueuses et détendues, pour de multiples causes parmi lesquelles certainement les moments difficiles voire dangereux qu’ils ont vécus ou vivront ensemble, mais aussi grâce au système traditionnel et informel des «présidents» qui fonctionne depuis longtemps. Ainsi l’on a vu « renaître dans l’armée d’élite cette connaissance réciproque de la troupe et de ses chefs qu’avait altérée le système des masses » (Charles de Gaulle in vers l’armée de métier). Dans ces conditions vouloir banaliser le statut, c’est méconnaître la réalité et c’est vouloir faire perdre à nos unités une partie de leur enthousiasme et de leur âme.