Article écrit d'après Science et Vie, novembre 2008 (article de C. Tourbe)
Contrairement aux idées reçues, la dent est un organe complexe que même les techniques les plus sophistiquées comme les implants, ne parviennent pas à remplacer de manière satisfaisante.
La limite des implants dentaires tient au matériau, le titane, plus réactif qu'on ne l'avait cru jusqu'ici, et au mode de liaison par ankylose de la fausse racine à l'os, très loin d'égaler celui d'une dent naturelle. Voir à ce sujet la rubrique Ligament du Pratikadent.
Cellules souches : promesses lointaines
Cependant, le procédé qui consiste à mettre des cellules en culture en laboratoire dans le but de réimplanter dans la mâchoire un germe dentaire (image ci-contre) destiné à remplacer une dent perdue est aujourd'hui loin d'être au point.
Si l'approche est ambitieuse autant que séduisante, les chercheurs ne peuvent encore reproduire les interactions complexes entre cellules de différents tissus qui conduisent au stade embryonnaire à la formation d'un germe dentaire. Et ce, même si des chercheurs ont identifié le rôle du gène Ctip2 dans la production de l'émail (gène déjà connu pour son rôle dans le développement des systèmes nerveux et immunitaires et la croissance de la peau).
Régénérer la dent cariée
Une forme de repousse plus facile à obtenir consiste à activer localement les cellules souches de la pulpe pour produire une régénération de la dentine, tissu situé sous l'émail, détruit par la carie dentaire. C'est la voie de recherche explorée par l'équipe du Laboratoire de Différenciation Cellulaire, Cellules Souches et Prions de Villejuif*. Le procédé consiste à réveiller les cellules souches présentes dans la pulpe dentaire en introduisant dans la cavité carieuse des microbilles d'un gel neutre porteuses d'une molécule spécifique, le peptide A-4. Cette molécule a la propriété d'activer les cellules souches présentes dans la pulpe. Au bout de dix jours, celles-ci sécrétent de la dentine, réparant la dent de l'intérieur.
L'émail n'étant pas régénéré (il est formé par un organe spécifique qui disparaît au moment de l'éruption de la dent), il devra être remplacé par une couche de composite.
* Lacerda-Pinheiro S, Marchadier A, Donãs P, Septier D, Benhamou L, Kellermann O, Goldberg M, Poliard A. Laboratoire de Différenciation Cellulaire, Cellules Souches et Prions, IFR- 2937 CNRS, Villejuif, France. An In vivo Model for Short-Term Evaluation of the Implantation Effects of Biomolecules or Stem Cells in the Dental Pulp. Open Dent J. 2008;2:67-72. Epub 2008 Apr 29.
De la dentisterie artisanale à la dentisterie régénérative
Testée avec succès chez le rat, cette autoréparation pourrait être appliquée à l'homme dans les quatre ou cinq prochaines années. "Les techniques actuelles vont sembler totalement 'artisanales' en comparaison de celles qui vont émerger des recherches sur les cellules souches" prophétise Michel Goldberg qui sait de quoi il parle puisqu'il défend par ailleurs l'amalgame dentaire ou plombage, employé en dentisterie depuis plus d'un siècle et demi.
Ainsi demain, on ne dévitalisera plus les dents (évitant ainsi des problèmes d'abcès) on ne posera plus d'obturations ni de couronnes mais, grâce aux techniques de dentisterie régénérative dérivée de la bioingénierie, on fera repousser la substance dentaire, ce qui permettra de réparer le délabrement occasionné par la carie par des tissus biologiques.
Vers une dentisterie biocompatible
Ce procédé est évidemment une avancée énorme qui fera entrer la dentisterie dans l'ère de la biocompatibilité. En effet, en régénérant les tissus dentaires, on parviendra enfin à se passer des produits et matériaux toxiques* qui composent aujourd'hui encore l'arsenal thérapeutique du dentiste (pâtes canalaires chimiques, amalgames au mercure, métaux allergisants et réactifs, etc.). La généralisation de la dentisterie régénérative sera la solution aux problèmes d'intoxication aux métaux lourds, mercure en particulier.
Limites
Il est certain que ce ne sont pas les implants mais les techniques de bioingénierie qui sont l'avenir de la dentisterie. Cependant, si ces travaux sont prometteurs, on est loin encore de leur application clinique à un vaste échelon. Même si les cinq ans annoncés apparaissent comme un délai très court, on peut gager que ces techniques seront réservées à quelques privilégiés, la sécurité sociale ne les remboursant pas (de même qu'elle ne rembourse ni les implants ni les prothèses biocompatibles en zircone).
D'autre part, les expériences réalisées jusqu'ici portent sur des cavités peu importantes, cavités que l'on sait aujourd'hui relativement bien réparer avec du composite. Des progrès restent à faire pour que cette technique puisse être appliquée à des délabrements importants, en particulier lorsque la forme de la dent est perdue. La forme de la dent étant donnée par l'émail qui ne peut être régénéré par ce procédé, on voit la difficulté de telles restaurations.
En attendant, à chacun de choisir avec soin les matériaux utilisés pour la restauration de ses dents.
* Pour connaître la liste des matériaux toxiques employés en dentisterie, voir le Pratikadent, rubrique Toxicité.