(IV )
Ici, disparaître. Circonscrire ce rien, cet ajout de soi, ce
dérèglement du regard. Dans le sort d’être et le déroulement de la formule. Se
dénouer dans l’équation. Sa valeur sacrilège dans le ventre de l’Initiale
s’exécute, ici, sur le passage des mondes…, ici, by its very absence.
(p.32)
Rêve et chair cherchent alliance. Ils sont vie, sont mouvement, sont ce qui se perpétue sur le sol natal, c’est-à-dire disposés à toutes les métamorphoses.
*
En soi ne cesse de se conjuguer or et mort, prairie de l’abîme ou « mélodie du labyrinthe ». Rien de mortifère, mais seulement ici, disparaître. Ou en finir, mais en finir avec quoi précisément ? Ce temps humain tout fait de fictions. Chimères, inventions, narrations de ce que nous sommes, de ce que nous vivons, et de tout ce qui nous vit, nous happe, nous possède.
Savez-vous
ce
qu’il faut de
chimères
pour
faire du continu… ?
*
Il n’y a pas de double de soi, mais le témoin de soi, ou témoin de votre mort, tout contre vous depuis le commencement de votre histoire, Toujours présent comme un astre jumeau. Et puis, il n’y a pas seulement ce qui avance à l’endroit, le chemin pris est toujours un retour. L’essentiel retour, comme essentiel est ce qui meurt, est ce qui ne peut périr... il nous faudra/nous mourir pour nous redevenir il nous faudra/aller en sens inverse.
Énigme et dualité de ce qui nous anime et nous divise. Tristesse et lumière. La nuit d’un seul est une invitation à ce qui est chair, sel, éther, à la parole qui ne bavarde pas, aux lèvres qui se veulent libres, ne pas se dessécher, et puis, à ce que l’on peut encore atteindre par le langage à chaque pas, un retour à soi par l’expérience poétique, sans se retourner, c’est-à-dire repartir.
Le songe de vivre et le fruit du rêve sont ce rien et ce tout, sont ce qui nous font tourment, mais pour Mathieu Brosseau il faut tristesse pour se redresser, et puis, Le feu pour sortir de l’autofiction. Le feu comme seule issue à la nuit.
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Nous sommes ce qui cherche autre chose. Nous sommes ce qui nous lie au temps sans couleur. Nous sommes ce que nous voyons, ce qui est su et qui est inconnu de nous. Ce que je vois et ce que je suis, ce que je m’apparais et ce que je disparais totalement. Ce que j’ai aussi les yeux blancs d’un aveugle.
Ce qui nous lie nous mène à la source, hors du centre. Ce qui nous lie : volatil, aérien, coagulation.
Il y a être poète pour encore écrire, ne pas écrire, encore dire, ne pas dire. Pour être perméable comme tulle au vent (…) perméable comme gaze au soleil. Comme il y a de rêver pour son âme qu’elle retrouve l’aurore des merveilles. Comme il y a être cet enfant qui pleure de revenir au monde, et qui dit ce refus de vivre, ce cri de vie.
A la page 63 : « L’automne est notre fin, aussi. Légèreté déconcertante des feuilles, moutons de poussière volants entre les édifices, spectacle sans souffle, vision aveugle. Étouffé, le monde se tait. Cet octobre en lieu et place du linéaire, l’arrêt du cœur et de la sève montante. Tissu du continu en dehors des cycles qui ponctuent notre corps de corde. Chambrée de comètes vives, ces enfants sont nos parents, notre arrière en place des astres dormants. Ils ont le rire du fracas et la langue qui devine le dessous des pierres, ce sol, ce tapis de terre. »
*
Ce recueil, nous dit son auteur, recouvre plus de cinq
années d’écriture/étude, dans le tourment et l’absorption de « la question
de l’Autre insondable et la volonté de casser l’incassable relation sujet-objet ».
Où se situe la poésie de Mathieu Brosseau ? Lui-même répond, au sujet de
ce recueil précisément : « combien je suis livré à interroger la
parole comme instance sous-jacente au langage, comme puissance évocatrice non
(encore) verbalisée. Et du mouvement qui amène cette parole à s’accoucher
d’elle-même, naît une écriture non narrative, structurée comme un au-delà
prescient. Là se situe ma poésie. »
A la manière d’un Jean Tardieu, Mathieu Brosseau ne se veut-il pas « désert et transparent afin de devenir un piège pour les mots » ? ou, à la manière d’un Georges-Emmanuel Clancier, se demander : « Mais qui dira si je vis ou meurs ? »
La poésie est là où le chant se courbe et se recourbe, où l’horizon s’éprouve, là où le poète marche, où lui-même est aventure éperdue. Poésie sous le signe de la chair.
Contribution de Nathalie Riera
Mathieu Brosseau
la nuit d’un seul
La Rivière Echappée, mars 2009