De Nimier, il ne semble rester, pour le grand public que quelques clichés tenaces. Éloigné du Lagarde et Michard (ce qui, après mûre et ample réflexion est loin d’être aussi significatif que ça) ainsi que des collèges et lycées, on peine à le trouver. Avec un peu d’efforts, on se souvient du Hussard Bleu, et des Epées, mais rien (ou presque) du reste. On le sait de droite, sans vraiment savoir de quoi il retourne. Nimier demeure caché à la fois parmi ceux que Bernard Frank a appelé « Les Hussards », sans que pour autant il y ait conscience et réalité d’un tel mouvement, même par ses supposés membres. Caché aussi par la forêt existentialiste qui verdit à la sortie de la guerre, dont la tête de proueest bien entendu Jean-Paul Sartre. Pourtant. Ce n’est pas que l’on n’écoute pas Nimier dans les années d’après guerre, au contraire. Mais l’Histoire a jugé et il ne reste que des miettes des hussards dans l’imaginaire collectif (à part peut être ironiquement un Prix Roger Nimier, décerné à tort et à travers tous les ans…), là où pour d’autres précédemment cités, la mémoire reste vive. L’Histoire qui justement joue un rôle des plus importants dans la réception d’une œuvre iconoclaste, aphorisme de combat perpétuel. Au sortir de la guerre, on doit se débarrasser de la mauvaise conscience de Vichy et de la collaboration. On doit couper les ponts avec le passé, avec tout ce et tous ceux qui pourraient rappeler une époque à bannir des mémoires. L’émergence de la « vogue existentialiste », qui remet au goût du jour la notion de liberté après la période sombre de l’Occupation et la sujétion au IIIe Reich n’en est que plus forte. On assiste à un mouvement de glorification de la Résistance et tous les mythes qu’elle a pu véhiculer, au prix d’un oubli volontaire de ces années sombres. La France cherche à expier, d’où un indéniable esprit de sérieux dans l'immédiat après guerre.
Cette histoire qui s’écrit sous ses yeux, Nimier, par son œuvre romanesque se l’approprie, avec sa position de franc tireur, en perpétuel décalage avec les attentes de ses contemporains, ne rechignant jamais à une bonne bataille, tirant à la hussarde sur les tenants d’une « pensée unique » qu’il abhorre et qu’il combat, en romancier, et en journaliste.
Nimier choisit d’ailleurs d’aborder une Histoire qui lui est tout à fait contemporaine : celle des années 30 dans Les Enfants tristes, mais aussi dans une partie des Epées, la période Vichyste, dans les même Epées mais surtout dans Le Hussard Bleu, qui aborde aussi, le sujet de la présence française en Allemagne à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale. Découverte d’une Quatrième République au caractère ubuesque et potache dans Perfide, retour à l’Histoire mythifiée de la France dans D’Artagnan amoureux….L’Histoire, la grande, celle qui est rentrée dans les livres, est toujours là, elle ne disparaît jamais, semble avoir une force propre que Nimier essaye de conter et de contrer tout au long de son œuvre. Les représentations qu’il en donne n’ont pourtant rien d’évident. Précisons là d’emblée que Nimier n’écrit pas des romans historiques, bien plutôt si l’on était en mal de caractérisation englobante, des romans sur et dans l’Histoire, mais pas uniquement (sachons entretenir mystère et confusion)
Il prend son envol parmi les cadavres de la France Occupée, représentant d’une jeunesse qui doit se réinventer. Ilvient jouer le trublion, le provocateur contre cet esprit de sérieux qui gangrène les esprits, et tord le cou aux représentations idéalisées d’une France qui semble fuir en avant.
Affirmer l’originalité proprement singulière de Nimier dans la littérature d’après guerre serait grandement oublier tout ce qu’il doit et garde en héritage de ses illustres anciens. La revendication d’un héritage est un acte envers l’Histoire en même temps qu’un positionnement envers ses contemporains. Au lendemain de l’Occupation, revendiquer l’héritage de l’Action Française, tenter de réhabiliter les vieux maîtres Morand et Chardonne, vouloir décerner le Nobel à Céline, lui rendre un hommage à peine déguisé dans son roman le plus connu, mais aussi celui qui a le plus choqué, n’est en rien chose aisée. Là où l’esprit dominant prône la rupture avec un passé jugé honteux, passé qui ne recouvre pas seulement l’Occupation et Vichy, mais qui remonte aussi à sanaissance c'est-à-dire aux années 25, une rupture idéologique et intellectuelle avec une Histoire qui s’est fourvoyée, une rupture qui voudrait faire de 1945 une année zéro, faire table rase d’une génération entière. Nimier, lui, montre une étonnante forme de continuité, sentant et revendiquant une filiation intellectuelle que l’on pourrait qualifier de « droite » (et sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir plus tard, donc attendez avant de dire que je ne développe pas, chers lecteurs magnanimes) Gardons-nous bien cependant de lui établir un profil politique strict, lui qui n’est d’ailleurs aimé ni à gauche, ni à droite. Nimier n’est pas politique, mais n’est pas apolitique pour autant, affectant une position d’« arrière garde ».
Par ailleurs, sous les dehors de la légèreté, d’un style flamboyant, léger, pratiquant volontiers l’aphorisme et le jugement à l’emporte pièce, l’on peut déceler tout un système dejeu chez Nimier. Et c’est la manière dont il joue avec l’Histoire, mais aussi, et surtout, peut être, avec le lecteur, qui importe et qui pose problème. Unevéritable esthétique de la fulgurance existe dans l’œuvre romanesque de Nimier, encore que celle-ci puisse paraître n’être qu’une coquille vide. Cette forme même interroge ce rapport à l’Histoire et le nourrit, ainsi qu’elle nourrit beaucoup d’autres aspects de ses romans. Elle se dégage parmi d’autres formes, mais n’en est qu’une parmi d’autres. Le contraste stylistique avec lequel joue Nimier est lui aussi signifiant. Il peut, à ce titre, être d’un classicisme à toute épreuve, et c’est justement ces écarts et différences, ces contrastes qui posent en en eux même un problème de sens, instillant un subtil brouillage dans le sens qui serait à tirer de ces mêmes romans. C’est peut être à ce niveau que la différence avec « l’Histoire historienne » (ou simplement, l'Histoire académique) est le plus saisissant, car en ayant le même objet, le romancier et l’historien en font deux choses radicalement différentes, toutes deux porteuses de sens, et dont la plus « réelle », la plus « vraie » n’est pas nécessairement celle qui de prime abord apparaît la plus rigoureuse. Nimier se cache derrière son style, aime à revêtir des déguisements, à jouer avec le lecteur, au chat et à la souris, si bien que l’on arrive que très difficilement à décerner s’il est vraiment sérieux ou s’il ne s’agit que d’une simple provocation, gratuite pour ainsi dire. La réalité, vous vous en doutez, est quelque peu plus complexe.
Voilà à grands (et grossiers) traits quelques petit gâteaux secs sur Roger Nimier, écrivain cher à mon cœur. Pardonnez d’emblée le style un peu trop droit, je reprends dans une large mesure des textes produits pour l’institution universitaire, et qui semblent en affecter les défauts de langage. Peut-être n’est-ce qu’une vue de l’esprit et que cela n’est que simplement mal écrit.
Notons enfin qu’il ne s’agit que d’une brève introduction, que la suite viendra tout au long du mois de mars, développements plus conséquents d’idées qui ne sont qu’esquissées ou simplement évoquées ici même.
La prochaine note devrait ainsi revenir dans une large mesure sur l’expérience personnelle de Nimier de l’Histoire et de l’influence d’icelle sur ses romans.
Enfin, rappelons au lecteur étourdi que Roger Nimier est auteur de six romans : Les Epées, Perfide, Le Hussard Bleu, Les Enfants Tristes, Histoire d’un amour (de loin le plus anecdotique pour notre propos), D’Artagnan Amoureux et l’Etrangère, de quelques essais et d’un grand nombre d’articles qui sont pour la plupart édités.