Vue d’ailleurs : la situation des droits de l’Homme en France selon les experts de l’ONU et du Conseil de l’Europe par E. KAMINSKI

Publié le 26 février 2009 par Combatsdh

Les droits de l’Homme ne visent pas à protéger uniquement les criminels au détriment des “bons” citoyens ou à promouvoir une vision angélique du monde. Comme je l’ai montré dans de précédents articles, promouvoir le respect des droits de l’Homme s’inscrit au contraire dans un projet politique réaliste. Promouvoir les droits de l’Homme c’est assurer que l’individu n’est pas figé dans une essence (le “pauvre”, le “criminel”, l’”anormal”) mais peut au contraire, s’il en a la volonté ou le désir, se réaliser en développant son potentiel proprement humain, indépendemment d’une identité ou d’un contexte social, culturel ou religieux.Malheureusement, les droits de l’Homme sont souvent soupçonnésd’instrumentalisation à des fins politiques quand leur abstraction ne leur est pas reprochée (cf. le précédent article « L’universalité des droits de l’Homme en question » et l’article de François Jullien « Universels, les droits de l’Homme ? », Le Monde diplomatique, février 2008). L’examen des rapports élaborés par l’ONU et le Conseil de l’Europe sur la situation en France devrait permettre de s’extraire des clivages politiques hexagonaux et de donner aux droits fondamentaux une épaisseur concrète. Ces analyses internationales, si elles ne peuvent prétendre à l’objectivité, favorisent une prise de recul sur la réalité française dégagée des intérêts particuliers des acteurs nationaux. Surtout, il est surprenant de constater à quel point ces recommandations pourraient aisément alimenter un programme politique cohérent. Cela impliquerait que les hommes politiques fassent preuve d’humilité, acceptent le débat sur des points cruciaux et souhaitent porter un véritable projet à même refonder notre société.

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Discrimination, racisme et migrants
Les discriminations et le racisme sont parmi les principales sources de préoccupation évoquées par les différents mécanismes onusiens chargés de la surveillance des droits de l’Homme. Selon certains experts, la discrimination raciale s’aggrave en France. Le gouvernement est donc encouragé, au-delà de la riche législation existante, à lutter réellement et efficacement contre toute pratique discriminatoire fondée sur l’origine, la couleur, la religion, ou toute autre condition. Des campagnes d’information publique devraient être menées pour encourager le respect mutuel. Les dispositions en matière de répression de tels actes doivent être appliqués plus systématiquement et la sensibilisation des responsables de l’application des lois renforcée. Des mesures préventives doivent être adoptées pour empêcher les incidents à caractère raciste impliquant des membres des forces de l’ordre et d’autres agents de l’État.

L’attention des autorités françaises est également appelée sur le traitement des demandeurs d’asile et des immigrants, y compris des enfants non accompagnés, en attente d’un statut. Les conditions de vie dans les centres de rétention administrative et les zones d’attente sont souvent déplorables. Il est demandé aux autorités de renforcer les mesures d’encadrement du personnel de police responsable des centres de rétention et des zones d’attente et d’autoriser la présence d’observateurs des droits de l’Homme ou de médecins indépendants pendant des éloignements forcés.

La France doit en outre être en mesure de donner le temps et les moyens nécessaires, notamment en terme de traduction/interprétation, aux personnes maintenues à la frontière ou dans des centres de rétention pour déposer effectivement une demande d’asile et la possibilité d’exercer un droit de recours. Une plus grande transparence pour les procédures de régularisation, de regroupement ou de rapprochement familial devrait être développée. Les demandes relatives à ces dernières, dont l’examen est souvent très long, devraient être traitées plus rapidement.

Les méthodes d’interpellation doivent être revues (en évitant par exemple les interpellations dans les écoles et les préfectures) et l’objectif chiffré de reconduite d’immigrants illégaux à la frontière - qui conduit manifestement à des abus - devrait être abandonné. Le risque de torture que courent certaines personnes en instance d’expulsion est enfin souvent ignoré par les autorités compétentes, en contradiction avec la Convention internationale contre la torture que la France a ratifiée. Les mesures provisoires demandées dans ces cas critiques par l’ONU ne sont souvent pas appliquées. Une procédure nationale devrait être mise en place pour prévenir ce type de situation.

La situation des femmes migrantes, qui sont parfois victimes d’une double discrimination, est particulièrement montrée du doigt, notamment en ce qui concerne l’accès aux services sociaux de base. Les pratiques restrictives en matière de réunification familiale, tels que les tests ADN et les tests de connaissance linguistique touchent principalement les femmes. De manière générale, les immigrés subissent des discriminations fortes dans les domaines du logement, de l’emploi et de l’éducation. Il est assez déconcertant à cet égard de remarquer que les experts de l’ONU encouragent le gouvernement à suivre les recommandations du rapport détaillé de la Cour des comptes de 2004 sur l’accueil des immigrés et des «populations issues de l’immigration».
Liberté de religion ou de conviction

Suite à une visite en France, la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la liberté de religion ou de conviction s’est dite préoccupée par le fait que, dans certaines circonstances, la lecture sélective et l’application rigide du principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat ont nui au respect du droit fondamental à la liberté de religion ou de conviction. Elle a estimé que la politique du Gouvernement pourrait avoir contribué à l’instauration d’un climat de suspicion et d’intolérance généralisées. Ainsi, la loi n°2004-228 du 15 mars 2004 concernant le port de signes religieux ostensibles dans les écoles publiques a suscité de fortes inquiétudes à l’étranger. Cette loi a en effet surtout touché, de fait, certaines minorités religieuses, et notamment les personnes de culture musulmane. L’application de ce texte avait conduit, dans un certain nombre de cas, à des abus et des humiliations. La stigmatisation du voile a été à l’origine de cas d’intolérance religieuse lorsque les femmes le portaient hors de l’école, à l’université ou sur le lieu de travail.

Un certain nombre d’améliorations doivent être réalisées, notamment pour éviter la stigmatisation a priori des membres de certains groupes religieux ou communautés de conviction. Les mécanismes de protection, en particulier la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) doivent diffuser un message fondé sur le principe selon lequel nul ne peut être jugé pour ses actes autrement que par les voies judiciaires appropriées.


Justice et droit à un procès équitable

Dans le domaine de la Justice, il est intéressant de noter que la procédure pénale française - et notamment le rôle du juge d’instruction - n’est pas remise en question. En revanche, il est régulièrement recommandé à la France d’envisager la réforme - ou du moins une dérogation dans le cas d’actes de torture impliquant des agents de la force publique - du système de l’opportunité des poursuites, qui laisse aux procureurs de la République - qui, bien qu’ayant le statut de magistrat, ne sont pas indépendants - la possibilité de ne pas poursuivre. Il a été noté que, dans la plupart des cas, les autorités ne font que peu ou pas d’enquêtes sur les plaintes concernant des mauvais traitements par les forces de l’ordre, ce qui aboutit en pratique à l’impunité de celles-ci.

Il est également recommandé aux autorités de garantir l’accès immédiat à un avocat dès les premières heures de la garde à vue, y compris dans le cadre de la procédure particulière applicable en matière de criminalité et de délinquance organisées. Pour ces motifs, il est possible de retarder, en l’état actuel du droit, l’accès à un avocat à la soixante-douzième heure de la garde à vue. De manière générale, les modifications apportées ces dernières années à certaines dispositions du Code pénal et la large définition des actes terroristes suscitent de fortes inquiétudes (cf. récente affaire de « Tarnac ») dans la mesure où elles pourraient donner lieu à de graves restrictions aux garanties dont bénéficient les personnes détenues.

La nouvelle disposition législative relative à la rétention de sûreté est également porteuse de risque de pratiques arbitraires, notamment du fait de la détermination de la “dangerosité ” d’individu (fondée sur le risque d’une infraction future !) par des experts.

Concernant plus spécifiquement les mineurs, les mesures éducatives, les actions de réparation et la voie de l’intégration sociale devraient être systématiquement explorées et développées. Dans cet esprit, les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) devraient être accrus pour prévenir la délinquance et renforcer le suivi et l’encadrement offerts aux mineurs délinquants. La répression seule n’est pas une réponse à ce défi majeur que représente la délinquance des jeunes pour notre société. La prévention de la primo délinquance devrait être favorisée par rapport à la prévention de la récidive. L’âge légal à partir duquel des sanctions pénales peuvent être prises doit être élevé alors que les discussions actuelles sont orientées vers son abaissement[1]. En cas d’incarcération, en tout dernier recours, les mineurs doivent être séparés des adultes, y compris dans des établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs (EPM), et surtout bénéficier d’une assistance juridique particulière.

Des difficultés liées au droit au respect de la vie privée et au stockage de données sont soulignés. Les autorités publiques sont appelées à garantir que des informations personnelles ne soient pas diffusées auprès de personnes non autorisées par la loi à les recevoir. Le fichier EDVIGE doit être strictement limités aux individus reconnus coupables d’une infraction pénale.
Conditions de détention

Les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et dans les centres de rétention administrative, sont particulièrement dénoncées, notamment au regard de l’augmentation des incidents violents entre détenus et du nombre de suicides. Les conditions de vie y sont inacceptables du fait de la vétusté des infrastructures, de la surpopulation (taux d’occupation moyen de 125% - 140% pour les maisons d’arrêt[2]) et la promiscuité intolérable qui en résulte. Les moyens à la disposition des établissements pénitentiaires pour favoriser la réinsertion sont très insuffisants. Il est régulièrement demandé à la France de ne recourir à la détention, y compris la détention provisoire, qu’en dernier ressort et pour la durée la plus courte possible. Au sein des lieux de privation de liberté, l’isolement cellulaire doit demeurer une mesure exceptionnelle et limitée dans le temps. Les régimes de détention différenciés ne doivent pas être légalisés et les personnes souffrants de troubles psychiatriques faire l’objet d’un suivi particulier.

La loi pénitentiaire en préparation depuis plusieurs mois - qui ne tient pas compte de l’avis de la CNCDH, des Etats généraux de la condition pénitentiaire ou du Comité d’Orientation restreint de la loi pénitentiaire pourtant mis en place par le Garde des sceaux en novembre 2007 - devrait, pour se conformer aux règles pénitentiaires européennes, garantir l’encellulement individuel des détenus, permettre un accès effectif, continu et dans un délai raisonnable aux soins, assurer un travail équitablement rémunéré, diminuer la durée de placement en quartier disciplinaire, encadrer la pratique de l’isolement (en garantissant notamment le droit à un recours effectif), garantir le droit effectif de vote et favoriser le maintien des liens familiaux. Les prévenus et les personnes condamnées devraient par ailleurs être systématiquement séparés conformément au principe de la présomption d’innocence.
Droits des femmes

Concernant la situation des femmes, l’ONU recommande à la France de prendre des mesures pour lutter contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes, dont la violence dans la famille. Dans cette perspective, la coopération entre la police, le parquet et la société civile doit être renforcée en vue de prévenir la violence envers les femmes. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes s’est dit préoccupé par l’intensification de la traite, en particulier des femmes et des filles. Il a été demandé à la France de prendre des mesures pour démanteler les réseaux de traite et d’exploitation, en particulier d’enfants étrangers et d’élaborer un programme global de lutte contre la pornographie impliquant des enfants.
Droits de l’enfant

Dans le cadre du respect du droit à la vie de famille, le Comité des droits de l’enfant a encouragé l’Etat à assurer la pleine application du droit de l’enfant à connaître ses parents. Il a recommandé à la France de faire en sorte que les adoptions internationales soient réalisées conformément aux principes et dispositions de la Convention, en particulier de l’article 21, et de la Convention de La Haye de 1993.


Droits économiques, sociaux et culturels

La question du droit au travail et du droit à des conditions de travail justes et favorables est principalement abordée pour la France sous l’angle de la prévention des discriminations. Comme le montre un rapport demandé par le Ministère de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement en 2005, l’origine ethnique demeure un obstacle lors du recrutement, indépendamment du niveau d’éducation ou de qualification des candidats. La « Charte de la diversité » d’octobre 2004 a été accueillie favorablement pour répondre à ce défi mais le suivi de sa mise en œuvre est lacunaire. La France est également engagée à garantir une égalité de fait aux femmes sur le marché de l’emploi, à prendre des mesures pour lutter contre la ségrégation professionnelle et à réduire les disparités de salaires entre femmes et hommes.

Concernant le droit à un niveau de vie suffisant, les initiatives proposées au niveau ministériel visant à améliorer les conditions de vie et de logement dans les banlieues françaises sont plutôt bien accueillies. Il est cependant régulièrement souligné la nécessité d’élever les moyens à la hauteur des annonces et de veiller en priorité à ce que les logements neufs ou rénovés soient d’abord proposés aux personnes résidant depuis longtemps dans ces quartiers. Le problème des sans-abri devait également être mené selon une perspective à long terme, et pas seulement à titre d’urgence.

Il est demandé au gouvernement d’élaborer une stratégie globale visant à améliorer la situation des femmes âgées et des femmes vivant dans les zones rurales. Il est également recommandé à la France de relever le minimum retraite et d’améliorer les pensions de retraite des personnes travaillant dans les secteurs de l’agriculture et de l’artisanat. Enfin, compte tenu du taux élevé de suicides des adolescents, un programme de santé mentale pour cette catégorie d’âge devrait être mis au point.

Le droit à l’éducation et le droit de participer à la vie culturelle de la communauté sont souvent négligés en tant que tels par les pouvoirs publics. Il a été fortement recommandé à la France de contrôler l’application de la loi n°2004-228 du 15 mars 2004 concernant le port de signes religieux ostensibles dans les écoles publiques primaires et secondaires, afin de s’assurer qu’elle n’ait pas d’effets discriminatoires. Cette loi risque, dans la pratique, d’avoir pour effet de tenir certains enfants, particulièrement les filles, à l’écart des écoles publiques.

Il est également demandé à la France de garantir le droit à l’éducation dans les écoles ordinaires pour les enfants des familles de gens du voyage et de prendre des mesures pour protéger le droit de ces enfants de ne pas faire l’objet de ségrégation en étant placés dans des écoles ou des classes destinées aux élèves ayant des difficultés d’apprentissage, lorsque rien n’indique que c’est nécessaire. Le gouvernement est également engagé à permettre que les enfants handicapés puissent exercer leur droit à l’éducation et à faciliter leur intégration dans le milieu scolaire ordinaire.

Un point extrêmement complexe et qui mériterait une véritable délibération politique au niveau national est celui des minorités et des peuples autochtones. Le concept de droits des minorités et de reconnaissance de groupes minoritaires ou de droits collectifs est catégoriquement rejeté par la France (cf. l’article « Des politiques de la diversité contre les droits de l’Homme ? », en particulier sur le fondement de la Constitution. La France est cependant aujourd’hui relativement isolée sur cette question. L’égalité devant la loi est souvent considérée comme insuffisante pour garantir que certains groupes minoritaires, tels les Roms, jouissent des droits de l’Homme sur un pied d’égalité.

La France est ainsi très régulièrement invitée à réexaminer sa position concernant les minorités, en veillant à ce que les groupes minoritaires soient reconnus et protégés en tant que tels. Les cultures régionales et minoritaires devraient en particulier être préservées et l’enseignement des langues de certains groupes ethniques promu. Des stratégies plus énergiques devraient enfin être utilisées en vue d’accroître le nombre de personnes d’origine immigrée dans le service public, particulièrement dans les services de police, la fonction publique et le secteur judiciaire, afin de mieux refléter la grande diversité des citoyens français.

La situation des gens du voyage, déjà évoquée plus haut, est particulièrement problématique. Le gouvernement doit s’assurer que les communes appliquent effectivement la loi imposant la création d’aires d’accueil et il doit être mis fin aux mesures dérogatoires (droit de vote, carnet de circulation). Les phénomènes d’exclusion de ces personnes, en matière d’éducation, d’emploi et d’accès aux services de santé devraient être mieux étudiés et plus efficacement combattus.

La situation dans les collectivités d’Outre-mer, comme l’illustrent dramatiquement les événement récents, constituent une source de préoccupation permanente. En effet, la discrimination persiste, en particulier dans le domaine des droits économiques et sociaux, surtout à l’égard des enfants, et la nécessité de lutter contre ces inégalités entre les régions est régulièrement soulignée. Le manque de maîtrise de la langue française constitue pour certaines populations locales un obstacle à la jouissance de leurs droits, notamment le droit d’accès à la justice. Ces personnes doivent donc pouvoir bénéficier des services de traducteurs/interprètes, notamment dans leurs contacts avec la justice.

De manière générale, il est reproché à la France de ne pas tenir compte de ses obligations au titre des pactes et conventions qu’elle a pourtant volontairement ratifiés, y compris dans les décisions de justice. L’absence de consultation régulière, ou de prise en compte sérieuse recommandations des mécanismes nationaux en charge de la surveillance des droits de l’Homme par le gouvernement illustre également le mépris dont sont victimes les droits de l’Homme.
Si toutes les analyses et propositions des experts internationaux ne peuvent recevoir de réponse évidente - par exemple dans le domaine des droits des minorités - elles devraient être mieux diffusées, connues et utilisées pour orienter les politiques publiques ou le contre-programme de l’opposition. Tant que les citoyens ne s’approprieront pas, dans le cadre d’une délibération démocratique, ces outils précieux, l’oubli des droits de l’Homme et de la dignité humaine qui les fonde pourra poursuivre son œuvre de sape du vivre-ensemble.

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[1] Il est question de permettre l’adoption de mesures pénales pour les mineurs en-dessous de 13 ans et de juger comme des adultes des mineurs dès 16 ans.

[2] Ce taux dépasse 220% pour les maisons d’arrêt de Béthune, de Chambéry et de la Roche sur Yon.