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Que reste-t-il des modalités de vente?

Publié le 26 février 2009 par Duncan
CJCE, Arrêt du 10 février 2009, Commission/Italie, C-110/05.
Il est inutile d'insister sur la grande difficulté qu'éprouve la Cour, à intervalles réguliers, de saisir pleinement la portée exacte de la distinction qu'elle a posé dans son arrêt Keck et Mithouard entre les mesures qui constituent une modalité de vente et celles qui n'en constituent pas (cfr les conclusions de l'AG Poiares Maduro sous Alfa Vita).
L'arrêt Commission contre Italie illustre encore ces difficultés. La question qui se posait est simple à résumer: et-ce qu'une restriction sur l'usage d'un produit (la loi italienne interdit à certains cyclomoteurs de tirer une remorque) peut être considérée comme une modalité de vente ou pas? La conséquence est d'importance puisqu'une modalité de vente échappe, sous exception, à la censure du juge communautaire. Si la question est simple, la réponse ne l'est certainement pas. L'Avocat général Bot a considéré, dans les secondes conclusions sous cette affaire, que ces mesures devaient entrer dans le champ d'application de l'article 28 CE(En effet, cette affaire a donné lieu a deux conclusions, la troisième Chambre initialement saisie ayant renvoyé l'affaire devant la grande Chambre et donc à deux conclusions). De plus, pas moins de huit Etats membres ont soumis des observations à la Cour.
L'arrêt de la Cour était donc très attendu... mais finalement peu éclairant.
La Cour va en effet contourner assez habilement le problème.
Après diverses distinctions, qui ne sont§ pas sans rappeler la tâche parfois jésuitique de la Cour dans le cadre de la définition d'un marché pertinenet en droit de la Concurrence, elle parvient à la conclusion que seuls sont concernées dans cette affaire les remorques qui sont spécialement conçues pour être attelées à des motocycles et qui sont légalement produites et commercialisées dans des États membres autres que la République italienne, à l'exclusion des remorques non spécifiques. L'importance de ce marché semble pour le moins réduit, mais aucun principe de minimis ne s'appliquant dans le cadre de l'article 28 CE, la Cour poursuit son analyse.
Elle constate que "l'interdiction d’utilisation d’un produit sur le territoire d’un État membre a une influence considérable sur le comportement des consommateurs, lequel affecte, à son tour, l’accès de ce produit au marché de cet État membre" (point 56). La Cour constate donc qu'une telle mesure constitue une entrave à la libre circulation des marchandises au sens de l'article 28 CE, écartant du débat toute discussion autour de la notion de modalité de vente.
Bien plus, elle considère que cette entrave est justifiée par la nécessité d’assurer la sécurité routière qui constitue, selon la jurisprudence, une raison impérieuse d’intérêt général. Chacun demeurera libre d'apprécier la pertinence de ce propos notamment quant au principe de proportionnalité... Pour la Cour, aucun doute, icette interdiction est apte à réaliser l’objectif visant à garantir la sécurité routière. En vertu d'une marge d'appréciation supposée large - ce qui fera sans doute sourire (jaune) au Portugal, pays condamné il y a quelques mois dans une affaire assez proche - cette mesure est également nécessaire (point 65).
Bien mieux, il n'existerait pas de mesures moins entravantes que l'interdiction totale! Même "s’il n’est pas exclu, dans le cas d’espèce, que des mesures autres que l’interdiction prévue à l’article 56 du code de la route puissent assurer un certain niveau de sécurité routière pour la circulation d’un ensemble composé d’un motocycle et d’une remorque, telles que celles mentionnées au point 170 des conclusions de M. l’avocat général, il n’en demeure pas moins qu’il ne saurait être dénié aux États membres la possibilité de réaliser un objectif tel que la sécurité routière par l’introduction des règles générales et simples facilement comprises et appliquées par les conducteurs ainsi qu’aisément gérées et contrôlées par les autorités compétentes" (point 67).
Et la Cour de rejeter le recours de la Commission.
Bref, un arrêt étrange, qui semble renier totalement le débat autour de la jurisprudence Keck... On peut s'interroger, assez légitimement, si cet arrêt n'est pas le signe d'un alignement de l'article 28 CE avec les autres libertés garanties par le Traité CE. Un revirement explicite est évidemment hautement improbable, mais en excluant le débat Keck chaque fois qu'elle le peut, la Cour semble vouloir désavouer la pertinence de cette distinction. Reste également un grand goût d'à peu près dans l'appréciation, par la Cour, du principe de proportionnalité... Comme le fait malicieusement remarquer l'EU Law Blog, la sécurité routière invoqué comme justificatif dans un pays où les feux rouges ne semblent pas exister est plutôt amusante.

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