(dépêche)
La France et l'Otan, fin d'une exception ou d'une incohérence
?
26 févr 2009 - il y a 24 min - Laure Bretton
Réalisme militaire pour les uns, faux pas diplomatique pour les autres, Nicolas Sarkozy s'apprête à mettre fin à quarante ans d'exception en redonnant "toute sa place" à la France au sein de
l'Otan.
Accueillie avec enthousiasme au plan international, à quelques rares exceptions près, cette rupture avec la doctrine gaullienne adoptée en 1966 passe mal sur la scène politique française où le
chef de l'Etat est déjà aux prises avec une impopularité persistante.
Le retour "plein et entier" de la France dans l'Otan devrait être officialisé lors du sommet qui se tiendra début avril à Strasbourg et dans sa jumelle allemande, Kehl.
"C'est une rationalisation, la fin d'une incohérence qui durait depuis la fin de la Guerre froide", se félicite un diplomate français à l'Otan. Paris franchit enfin "la dernière marche",
politique, qui "peut être la plus difficile", fait-il valoir.
"Il ne subsiste qu'une exception politique", confirme Frédéric Bozo, universitaire et spécialiste des questions de défense à La Sorbonne.
"L'Otan a beaucoup évolué. On n'est plus dans une logique de blocs mais d'alliances à la carte, ce qui est en réalité proche de ce que de Gaulle voulait", estime le chercheur.
La France, quatrième contributeur aux forces de l'Otan, n'a jamais cessé de siéger au Conseil de l'Atlantique, l'organe politique de l'Otan, et depuis la fin de la guerre dans les Balkans, elle a
progressivement normalisé ses relations opérationnelles avec l'Otan.
Ce qu'il manquait encore à la France, explique une source militaire à Paris, c'était une présence "à tous les étages", notamment dans le comité des plans de défense où se dessinent les opérations
militaires.
Les décisions se prenant par consensus, la France pouvait à la fin du processus approuver ou rejeter une orientation militaire élaborée depuis des mois par les autres alliés.
En rentrant dans le comité des plans, "on sort du côté binaire où on disait 'oui' ou 'non' à la fin" avec à la clé un gain d'efficacité pour l'organisation et une influence française élargie,
plaide cette source.
FUITE DES CERVEAUX
De plus, Nicolas Sarkozy ayant promis de ne pas intégrer le comité nucléaire, Paris maintient une certaine forme d'exception au sein de l'Otan.
Fruit d'un accord franco-américain qui n'a pas été confirmé de source officielle, le retour s'accompagnerait de la nomination de militaires français pour piloter la transformation de l'Otan,
depuis la base de Norfolk aux Etats-Unis, et au commandement conjoint de Lisbonne.
Dans les deux cas, des généraux américains laisseraient leur place à des Français.
Seule réticence côté militaire, le risque d'une fuite des cerveaux français vers des postes prestigieux et généreusement rémunérés. Au total, la France passera d'une centaine d'hommes travaillant
à l'Otan actuellement à près d'un millier.
Pour des hauts gradés, "l'Otan, c'est une opération extérieure sans le risque de mourir au combat", remarque, avec malice, un expert militaire.
Dans le secteur français de l'armement, réintégration rime avec bénédiction.
Sur le continent européen, "on lève une ambiguïté avec les pays de l'Est qui hésitaient encore à acheter français par peur de froisser les Américains", salue une source industrielle.
Mais sur la scène politique, le choix présidentiel, approuvé par une large majorité à l'UMP, provoque une singulière inversion des rôles.
Dominique de Villepin, qui fut pourtant l'artisan, sous la houlette de Jacques Chirac, de la précédente tentative de réintégration en 1995, dénonce aujourd'hui une "faute".
COUP DUR POUR L'EUROPE DE LA DÉFENSE?
François Bayrou, héritier de la démocratie-chrétienne qui a toujours privilégié le lien transatlantique, pourfend un rapprochement synonyme d'alignement sur les Anglo-Saxons à ses yeux et réclame
un référendum.
La gauche, opposée au retrait de l'Otan, annoncé cinq ans après la construction du Mur de Berlin, défend aujourd'hui cette exception historique.
Louis Gautier, ancien conseiller stratégique de Lionel Jospin, réfute cependant toute "opposition systématique", tout "argumentaire replié dans le drapeau gaulliste".
"On porte un coup très dur à l'Europe de la défense. On la sacrifie", déplore le conseiller d'Etat pour qui il aurait fallu inventer un nouveau lien transatlantique à l'heure où Barack Obama
accède au pouvoir aux Etats-Unis.
"On n'a obtenu aucune contrepartie. Dire que l'on influencera mieux l'Alliance de l'intérieur est un mensonge. Les Américains n'accepteront jamais un caucus européen dans l'Otan",
estime-t-il.
Pour Jérôme Fourquet, directeur d'études à l'Ifop, la France vit aujourd'hui sur un "mythe national" et le chef de l'Etat aura fort à faire pour "vendre" le retour dans le commandement
intégré.
Même si l'élection de Barack Obama rend les choses un peu plus faciles, privant les Cassandre de l'argument "anti-Bush", Nicolas Sarkozy "a une image pro-américaine qui l'oblige à encore plus de
pédagogie".
Edité par Sophie Louet