Affaire Hissène Habré portée devant la Cour internationale de justice par B. Delzangles

Publié le 26 février 2009 par Combatsdh

Le 19 février 2009, la Belgique a introduit une instance devant la Cour internationale de justice contre le Sénégal pour obtenir de celui-ci qu’il juge l’ancien Président du Tchad, Hissène Habré, ou qu’il l’extrade vers la Belgique pour les crimes de masse commis durant son régime (1982-1990).

Lettre Droits-libertés par Béatrice DELZANGLES

Hissène Habré (wikipédia )

1 - Rappel des faits

En 2000, l’ex-dictateur du Tchad avait été inculpé à Dakar de complicité de « crimes contre l’humanité, d’actes de torture et de barbarie ». Mais cette inculpation avait été rejetée par la Cour d’appel de Dakar au motif que le crime contre l’humanité ne faisait pas partie du droit pénal sénégalais. Des ressortissants tchadiens et un belge d’origine tchadienne avaient alors saisi la justice belge qui s’était déclarée compétente au titre de sa compétence universelle. En 2005, un juge belge avait délivré un mandat d’arrêt international à l’encontre de Hissène Habré et avait demandé son extradition.

En novembre 2005, après avoir arrêté Hissène Habré, les autorités sénégalaises avaient demandé à l’Union africaine de se prononcer sur « la juridiction compétente » pour juger   l’ex-dictateur. L’Union africaine avait alors demandé au Sénégal de juger Hissène Habré, « au nom de l’Afrique », ce que le Président Wade avait accepté. Entre 2007 et 2008, le Sénégal a amendé ses lois et sa Constitution afin de permettre à ses instances judiciaires de juger les crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et de torture commis dans le passé. Cependant, Dakar n’a toujours pas engagé de procédure à l’encontre d’Hissène Habré, prétextant le non versement des fonds (27 millions d’euros) que lui aurait promis l’Union européenne pour financer le procès. La Commission européenne a déjà proposé 2 millions d’euros pour la phase préliminaire de l’instruction mais attend que le Sénégal lui présente un budget raisonnable et crédible. Le Tchad a annoncé 3 millions d’euros et la France, la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse ont également déclaré leur disponibilité à soutenir financièrement le Sénégal.

2 - Requête de la Belgique devant la CIJ

Dans sa requête introductive d’instance, la Belgique demande tout d’abord à la CIJ de dire que le Sénégal est obligé de juger Hissène Habré ou, le cas échéant, de l’extrader vers Bruxelles, pour des faits qualifiés notamment de crimes de torture et de crimes contre l’humanité qui lui sont imputés en tant qu’auteur, coauteur ou complice. Selon la Belgique, l’abstention du Sénégal violerait la Convention des Nations Unies contre la torture (1984) ainsi que l’obligation générale coutumière de réprimer les crimes de droit international humanitaire. Elle prie ensuite la CIJ d’indiquer des mesures conservatoires tendant à ce que Sénégal prenne toutes les mesures en son pouvoir pour que Hissène Habré reste sous le contrôle et la surveillance des autorités judiciaires sénégalaises.

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  • 19/02/2009 -  2009/13 - La Belgique introduit une instance contre le  Sénégal et demande à la Cour d’indiquer des mesures conservatoires  86 Kb
  •  Communiqué de presse
    Non officiel
    No 2009/13

    Le 19 février 2009
    La Belgique introduit une instance contre le Sénégal et demande à la Cour d’indiquer des mesures conservatoires
    LA HAYE, le 19 février 2009. La Belgique a introduit ce jour en fin d’après-midi une instance devant la Cour internationale de Justice (CIJ) contre le Sénégal au motif qu’un différend «oppose le Royaume de Belgique et la République du Sénégal en ce qui concerne le respect par le Sénégal de son obligation de poursuivre» l’ancien président du Tchad Hissène Habré «ou de l’extrader vers la Belgique aux fins de poursuites pénales». Elle a également présenté une demande en indication de mesures conservatoires tendant à protéger ses droits en attendant l’arrêt de la Cour sur le fond.
    Requête introductive d’instance
    Dans sa requête la Belgique soutient que le Sénégal, où M. Habré vit en exil depuis 1990, n’a pas donné suite à ses demandes répétées de voir l’ancien président tchadien poursuivi en justice au Sénégal, à défaut d’être extradé vers la Belgique, pour des faits qualifiés, notamment, de crimes de torture et de crimes contre l’humanité. Le demandeur rappelle que, suite à une plainte déposée le 25 janvier 2000 par sept personnes et une ONG (l’Association des victimes de crimes et de répressions politiques), M. Habré avait été inculpé le 3 février 2000 à Dakar de complicité de «crimes contre l’humanité, d’actes de torture et de barbarie» et avait été assigné à résidence. La Belgique ajoute que cette inculpation avait été rejetée par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar le 4 juillet 2000 au motif que «le «crime contre l’humanité» ne fai[sai]t pas partie du droit pénal sénégalais».
    Le demandeur indique encore qu’«[e]ntre le 30 novembre 2000 et le 11 décembre 2001, un ressortissant belge d’origine tchadienne et des ressortissants tchadiens» ont déposé des plaintes similaires auprès de la justice belge. La Belgique rappelle que ses instances judiciaires compétentes ont, depuis fin 2001, adressé de nombreux devoirs d’instruction judiciaire au Sénégal et décerné à l’encontre de M. Habré, en septembre 2005, un mandat d’arrêt international auquel la justice sénégalaise a estimé ne pas pouvoir donner suite. Selon le demandeur, fin 2005, le Sénégal a transmis le dossier à l’Union africaine. La Belgique ajoute qu’en février 2007 le Sénégal a décidé de modifier son code pénal et son code de procédure pénale afin d’y intégrer «les incriminations de génocide, de crime de guerre et de crime contre l’humanité» ; elle souligne toutefois que le défendeur a fait état de difficultés financières empêchant l’organisation d’un procès contre M. Habré.
    La Belgique fait valoir qu’au regard du droit international conventionnel, «l’abstention du Sénégal de poursuivre M. H. Habré, à défaut de l’extrader vers la Belgique pour répondre des faits de torture qui lui sont imputés, viole la Convention [des Nations Unies du 10 décembre 1984] contre la torture», notamment, l’article 5, paragraphe 2, l’article 7, paragraphe 1, l’article 8, paragraphe 2 et l’article 9, paragraphe 1. Elle ajoute qu’au regard de la coutume internationale
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    «l’abstention du Sénégal de poursuivre M. H. Habré ou de l’extrader vers la Belgique, pour répondre des crimes contre l’humanité qui lui sont imputés, viole l’obligation générale de réprimer les crimes de droit international humanitaire que l’on trouve dans de nombreux textes de droit dérivé (actes institutionnels d’organisations internationales) et de droit conventionnel».
    Pour fonder la compétence de la Cour, la Belgique invoque tout d’abord les déclarations unilatérales d’acceptation de la compétence obligatoire de la Cour faites par les Parties en vertu de l’article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour, les 17 juin 1958 (Belgique) et 2 décembre 1985 (Sénégal).
    En outre, le demandeur indique que «les deux Etats sont parties à la Convention des Nations Unies du 10 décembre 1984 contre la torture» depuis le 21 août 1986 (Sénégal) et le 25 juin 1999 (Belgique). L’article 30 de cette convention dispose que tout différend entre deux Etats parties concernant son interprétation ou son application, qui n’a pu être réglé par voie de négociation ou d’arbitrage, peut être soumis à la CIJ par l’un des Etats. La Belgique soutient que les négociations entre les deux Etats «courent vainement depuis 2005» et que leur échec a été constaté par elle le 20 juin 2006. La Belgique dit par ailleurs avoir proposé le recours à l’arbitrage au Sénégal le 20 juin 2006 et note que celui-ci «n’a pas donné suite à cette demande … alors que la Belgique n’a cessé de confirmer par notes verbales la persistance du différend».
    Au terme de sa requête, la Belgique prie la Cour de dire et juger que,

    - « la Cour est compétente pour connaître du différend qui [l’oppose au Sénégal] en ce qui concerne le respect par [celui-ci] de son obligation de poursuivre M. H. Habré ou de l’extrader vers la Belgique aux fins de poursuites pénales ;
    - la demande belge est recevable ;
    - la République du Sénégal est obligée de poursuivre pénalement M. H. Habré pour des faits qualifiés notamment de crimes de torture et de crimes contre l’humanité qui lui sont imputés en tant qu’auteur, coauteur ou complice ;
    - à défaut de poursuivre M. H. Habré, la République du Sénégal est obligée de l’extrader vers le Royaume de Belgique pour qu’il réponde de ces crimes devant la justice belge».

    Mesures conservatoires
    La Belgique a également déposé ce jour une demande en indication de mesures conservatoires. Elle y expose que si «M. H. Habré est [actuellement] en résidence surveillée à Dakar, … il ressort d’un entretien donné par le président sénégalais, A. Wade, à Radio France International, que le Sénégal pourrait mettre fin à cette mise en résidence surveillée s’il ne trouve pas le budget qu’il estime nécessaire à l’organisation du procès de M. H. Habré». Le demandeur souligne que «[d]ans cette hypothèse, il serait facile pour M. H. Habré de quitter le Sénégal et de se soustraire à toute poursuite», ce qui «porterait un préjudice irréparable aux droits que le droit international confère à la Belgique [et] violerait les obligations que le Sénégal doit remplir».
    En conséquence, la Belgique prie la Cour «d’indiquer, en attendant qu’elle rende un arrêt définitif sur le fond», des mesures conservatoires tendant à ce que le défendeur prenne «toutes les mesures en son pouvoir pour que M. H. Habré reste sous le contrôle et la surveillance des autorités judiciaires du Sénégal afin que les règles de droit international dont la Belgique demande le respect puissent être correctement appliquées».

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    Presse: