Splendeurs et misères de la blogosphère
Au temps des Grecs et des Romains, à l'heure où brillaient les maîtres de rhétorique et les génies de l'art oratoire, il était un lieu commun d'effectuer nombre d'exercices rhétoriques variés. L'éloge n'était pas le plus simple d'entre eux, tant il fallait éviter le piège de la vile flagornerie. On appelait logographes ces hommes ces hommes connus de leurs contemporains mais fameusement anonymes de nos jours qui composaient de tels discours. Suis-je un logographe moderne ? Même pas : je ne suis pas connu de mon vivant.
Il en va ainsi de nos blogs, nous nous livrons à des exercices de style répétés jusqu'à l'écoeurement, et nos écrits ne franchiront sans doute jamais ne serait-ce le seuil de la célébrité immédiate. La France m'intéresse en particulier puisqu'elle occupe le premier rang dans le monde par le nombre de blogs.
On moque souvent le coq, l'animal emblématique de la France, en raison de sa propension à chanter les deux ergots dressés sur son tas de fumier. Cette saillie me semble souvent correspondre assez bien à ce que sont nos blogs, particulièrement nos blogs politiques.
Autant de petits roitelets maîtres en leur blog dont les ego surdimensionnés clament à qui leur désarroi, à qui leur rage, à qui leur gloriole, s'évertuant à caqueter et à s'ébourrifer pour paraître plus gros. Menaçant, s'affrontant, se raccommodant, commentant l'actualité sans la faire, ils sont comme la grenouille des fables d'Ésope et de Jean de la Fontaine, enflant jusqu'à l'envie. Nietzsche a écrit dans le Gai-Savoir «ne t'enfle pas autrement ; la moindre piqûre te fera crever». Aujourd'hui, on parlerait d'exploser en vol...
Symptômatique de ces querelles est la bataille des roitelets de leurs vassaux à coups de ligues (réseaux divers et variés) pour l'influence. Elle prend le visage de classements (le plus célèbre est celui de wikio), de citations dans la presse, d'invitations à des rendez-vous prestigieux, et, enfin, de citations chez les roitelets les plus «influents», en somme tout ce qui peut satisfaire les assoifés de reconnaissance sociale que sont les blogueurs.
Vanitas Vanitatum et omnia Vanitas disait l'Écclésiaste...
Pourtant, tous les individus ne cède pas à l'orgueil, comme le fit naguère un certain Sha'itan...Certains échappent à la spirale infernale et mordante des vanités. On le sait, le MoDem vient tout récemment de mettre en ligne deux grandes plate-formes destinées au grand public mais aussi à ses adhérents et sympathisants. La première, lesdemocrates.fr est essentiellement informative, et a été conçue par Nicolas Voisin, la seconde, forumdemocrate.fr, réalisée par une équipe que Christophe Ginisty a coordonnée, a une portée nettement plus programmatique et est davantage pensée comme un outil de travail (wiki,groupes, agenda,forum, bureau virtuel,messagerie instantanée).
J'ai été frappé de la manière dont plusieurs blogueurs et internautes ont vu dans ces projets pourtant complémentaires une lutte d'influence entre Christophe Ginisty et Nicolas Voisin. Comme si la soif de pouvoir et de reconnaissance était un horizon indépassable.
C'est vrai, le MoDem a propulsé deux groupes de travail sur un projet aux objectifs proches, mais, doit-on lui reprocher de ne pas mettre tous les oeufs dans le même panier ?
J'ai d'ailleurs un petit scoop à propos de la conception des trois plate-formes qui viennent de s'ouvrir (car le blog participatif du projet Europe du MoDem, leseuropens.fr, devrait entrer en service aujourd'hui).
Le blog Europe doit beaucoup à la manière dont Marielle de Sarnez se représente la blogosphère, internet, ainsi que leur fonctionnement. Le forum démocrate de Christophe Ginisty correspond plutôt à l'usage d'Internet dont François Bayrou se fait une représentation (il avait insisté tout particulièrement sur le wiki, à l'origine). lesdemocrates.fr sont, quant à eux, probablement une synthèse de vues diverses (je n'ai pas été directement dans le secret pour cette dernière plate-forme, alors que j'ai été consulté pour les deux premières, mais j'avais donné quelques avis à propos de la communication du MoDem sur la Toile).
Je voudrais saluer l'élégance et la tempérance avec lesquelles Christophe Ginisty a accueilli la mise en avant de la plate-forme de Nicolas Voisin. Comme une membre de son groupe, déçue de ne pas voir retenus une partie de leurs propositions, s'indignait en privé d'apprendre par la presse la venue de la plate-forme de N.Voisin, C.Ginisty a très simplement répondu que c'était compliqué mais que c'était la vie.
Pas de jalousie, pas de cris d'orfraie, pas de menaces de tout quitter, pas d'invectives contre le MoDem et ses dirigeants, contre leur «duplicité» mais des considérations tranquilles sur le cours des fleuves qui n'est pas toujours tranquille, à la manière d'un Sénèque dans son De vita beata. Pas de surdimensionnement de l'égo chez Christophe Ginisty, juste le sentiment du devoir accompli.
C'est cela à mon sens, la vraie générosité, le vrai sens d'un engagement ; donner pour donner, et non criaillier pour faire valoir son point de vue à coups de ratiocinnations sans fin, comme on a pu le voir pendant les élections municipales ou lors de la conception du règlement intérieur du MoDem.
Il en va de même, à mon sens, quand on participe à un groupe de réflexion. C'est même là un point de méthode essentiel. Il ne s'agit pas mettre en avant des idées à tout prix, mais de mener un travail d'analyse et de synthèse, et de faire des propositions en admettant qu'elles puissent pas être reprises. Les meilleurs groupes d'experts ne travaillent pas autrement et le bénévolat ne saurait être un prétexte à la modification de telles règles de fonctionnement.
Je le dis souvent en plagiant partiellement Zarathoustra (celui de Nietzsche) je ne souhaite pas être le surhomme mais simplement une petite pierre du point qui y mène...