Le métro de Pyongyang est sujet à de nombreux fantasmes. Il n’existerait pas, peut-on parfois lire. Il ne serait composé que de deux uniques stations, dans lesquelles on amène les visiteurs étrangers à des fins de propagande. Ses usagers seraient des figurants, qui, tels des mannequins de carton, seraient placés là les jours de visites de délégations internationales. La rumeur court qu’un fonctionnaire des Nations-Unies aurait un jour essayé de rentrer dans une station, et aurait trouvé porte close...
Fallait pas venir un jour férié camarade ! Le métro de Pyongyang existe, et il est composé de deux lignes, dont la première a ouvert en 1973. Le métro de Séoul a lui ouvert en 1974, un an plus tard : en pleine guerre froide, à l’époque où les Russes et les Américains se livraient à leur légendaire course à la Lune, les Coréens, eux, nous faisaient un concours de taupes.
En raison d’un grave accident lors de la construction de la ligne sous le fleuve Daedong, les deux lignes qui composent le réseau du métro Pyongangois n’ont jamais franchi la rivière, et se situent toutes deux sur la rive ouest. Le quartier diplomatique étant situé, lui, est sur la rive est, les étrangers ont peu d’occasions de l’utiliser. (Pour ceux qui désireraient plus d’informations sur le métro nord-coréen, je vous recommande le site suivant, qui est une vraie mine d’or : www.pyongyang-metro.com)
Un samedi, poursuivant nos excursions urbaines, nous avions garé nos vélos près d’une station, un bâtiment blanc et simple de forme circulaire, identifiable à son logo bleu et rouge figurant le caractère 지, afin de tenter la grande aventure : prendre le métro. En ce début de 21ème siècle, on cherche le frisson de l’aventure là où on peut.
Nous nous sommes approchés du guichet, un petit fenestron dans le bâtiment ouvrant sur l’extérieur, vaguement inquiets - la Corée du Nord est sans doute le seul pays où on se demande, avant de prendre le métro, si on a le droit ou pas. Un exemple supplémentaire de la paranoïa insidieuse qui nous gagnait tous...
Acheter des tickets s’est révélé plutôt simple, nonobstant les habituels problèmes de monnaie : la plus petite piécette que j’avais en poche, c’était une pièce de 100 wons (environ deux centimes d’euro), alors qu’un ticket coûte 5 wons... Quand je lui ai demandé trois tickets, la guichetière m’a lancé son lourd regard habituel, propre aux caissières en manque de monnaie.
C’est donc avec 20 tickets en main que nous sommes finalement entrés dans le mystérieux métropolitain Pyongyangois. Une officielle en uniforme a vérifié nos billets sans rien dire, et nous avons franchi les trois formidables portes blindées dont le rôle est de pouvoir transformer le métro en abri antiatomique à tout moment. Nous avons pris l’interminable escalator - le métro de Pyongyang est situé à plus de 100 mètres sous terre - qui nous a enfin amené sur les quais.
Chaque station de Pyongyang est décorée suivant un thème révolutionnaire : la victoire, la reconstruction, la réunification, le retour triomphal de la guérilla antijaponaise, etc. Les noms des stations exaltent la fierté nationale et portent les doux noms de Paradis, Etoile Rouge, Triomphe, Camarade, Fondation Nationale, ou encore Champs d’Or. A quelques exceptions près, ces noms n’ont d’ailleurs aucun rapport avec les noms de rues ou de quartiers en surface.
Les deux stations les plus impressionnantes sont celles de Reconstruction (Puhung) et Gloire (Yongwang), situées près de la gare centrale. Ce sont d'immenses halls richement décorés, où pendent de lourds plafonniers imposants. Des mosaïques ornent leurs murs, et représentent d’enthousiastes travailleurs et paysans, remplis d’ardeur et de foi révolutionnaire, allant reconstruire le pays à mains nus, sous la direction éclairée et bienveillante du grand leader.
D’autres montrent la ville de Pyongyang la nuit, éclairée, resplendissante et moderne. Ou encore des mosaïques d’usines, noires et fumantes, parcourues des gigantesques pylônes électriques zébrant des paysages industriels, des barrages hydro-électriques... Tout le fantasme d'une nation qui rêve de développement et d'industrie lourde.
Ces mosaïques sont constituées d’une myriade de petits carreaux de couleurs, et me rappelaient curieusement les graphismes colorés et pixellisés des jeux vidéo de mon enfance. Je me retrouvais devant ces immenses tableaux qui représentent l'idéal de vie nord-coréen... et je retrouvais soudainement cette saveur, ce goût d’enfance immanquable : le parfum oublié de ces heures entières passées, gamin, à jouer à Monkey Island. En ce début de 21ème siècle... on a les madeleines proustiennes de sa génération.
Le métro en lui-même est finalement décevant : des rames remplies d'étudiants, d'écoliers, d'ajummas et de costumés qui reviennent du travail, nous observant à la dérobée. A quoi s'attendre de plus, au fond ?
Les rames proviennent d'Allemagne de l'est. Si les graffitis sur les parois ont pu être effacées, les inscriptions en allemand gravées sur les vitres, elles, sont toujours visibles. Au fond de la rame, les deux immuables portraits des leaders contemplent les passagers.
A la station Puhung, un homme est arrivé droit sur nous, inquisiteur. Il venait savoir qui nous étions, et ce que nous faisions ici. Il tombait à pic : on avait justement besoin de quelqu'un pour nous prendre en photo.