Envoyé-Spécial, Complément d'enquête (France 2), L'Edition spéciale (Canal+), on ne compte plus les émissions de télévision qui se consacrent aux "Dangers d'Internet".
On évoque l'affreux Facebook, le vilain My Space, nouveaux méchants loups d'une forêt virtuelle dont nous serions les petits chaperons rouges égarés et cuits d'avance.
Pourquoi tant de haine, j'ai envie de dire... (avez-vous remarqué à quel point cette expression "j'ai envie de dire" est énervante, et combien elle ne veut rien dire ?, bref).
- Tout d'abord parce que, avec le Web 2.0., les réseaux changent, les communications se multiplient et nous sommes entrés dans une nouvelle dimension de l'échange, avec laquelle il faudra
maintenant compter. En médiatrice, la télévision ne fait, en ce sens, que répercuter un phénomène social et médiatique qui, comme tout phénomène social et médiatique, inquiète. Pourtant, il n'y a
pas de pratiques sans les dangers inhérents à ces pratiques.
- Mais la raison essentielle à cette défiance, c'est la trouille de la concurrence, car la plupart des chaînes s'inquiètent : les audiences baissent, encore et encore, tandis que les sites
web prennent de l'importance, et on les considère désormais (en tout cas certains), comme de véritables médias. C'est donc une nouvelle concurrence. Et nombre de chaînes de télé considèrent
certains sites comme des rivaux, non seulement parce qu'ils sont, par exemple, des sources d'information, mais aussi parce que le public n'est pas toujours un "multi-public", et il n'est pas
forcément en même temps devant son ordinateur et devant sa télé. En tout cas pas tout le temps.
Voici au moins deux raisons qui semblent suffire à des émissions grand public et dites "omnibus" pour affoler les foules, en mettant en avant le champ lexical des grandes peurs. Voici ce
qu'on pouvait entendre aujourd'hui vers 13 h sur Canal + :
- "Vous nous envoyez des commentaires très inquiétants",
- "Le problème, c'est que ça ne disparaît pas"
- "Protéger"
- "Danger"
- "Big brother peut être ton voisin"
- "Violation de l'identité"
- "On ne peut rien faire", etc
Bbbrrr ! ça fait peur hein ? ben oui, c'est fait exprès ma bonne dame ! La peur de l'inconnu, la préférence pour ce qui est connu, Freud l'a théorisé depuis longtemps. Monter la peur en
mayonnaise sans expliquer ne peut amener à la compréhension des phténomène sociaux, et on ne peut que le regretter. Mais la crainte de la concurrence est forte et elle conduit à ce genre de
discours. Pourtant, à regarder un peu en arrière, on n'a jamais vu qu'un média ou qu'une forme de communication effaçait l'autre. Prenons pour exemple l'arrivée de la télévision. Dans les années
50-60, les professionnels du cinéma se sont regroupés par crainte de disparaître à cause de la télévision, et Jérôme Bourdon explique dans son livre "Histoire de la télévision sous de Gaulle" que
les professionnels du cinéma ont fait des procès à la télévision naissante. Certes, des lois existent (et sont de moins en moins valables) pour la diffusion du cinéma à la télévision afin
d'inciter les français à aller en salle voir les films, mais la tendance est aujourd'hui totalement inversée, et le cinéma ne pourrait pas vivre sans la télévision, qui est son principal
financeur.
Je ne suis pas en train de dire que rien ne change, mais plutôt que les choses évoluent et se reconfigurent. Il est bien certain que la télévision a encore de beaux jours devant elle. A la fois
dans le salon, mais aussi sur le bureau, et en mobilité. Et l'industrie de programmes n'a aucun souci à se faire, puisqu'on prépare désormais des programme expressément conçu pour être vus à
partir d'un ordinateur, ce qui ne signe pas la fin de la télé que l'on connaît aujourd'hui. Mais c'est une nouvelle manière d'appréhender les médias, remettant en question les formes
médiatiques classiques, qui doivent s'adapter mais qui ne vont pas disparaître. En attendant, on est dans l'inconnu, alors on crie au loup.