Dire que notre désastreuse entrevue
avec le Dr K. ne nous a pas affecté serait un mensonge. Nous voudrions être imperméables à ce genre de violence, restés toujours aussi confiants en l'aboutissement de notre quête. Nous
voudrions pouvoir nous dire simplement : « Eh bien nous sommes tombés sur un abruti, oublions-le et allons voir quelqu'un d'autre. » Mais nous avons des sentiments, nous sommes des êtres
sensibles, nous ressentons des émotions. Et il serait vain de vouloir les étouffer, même lorsqu'elles sont douloureuses; elles ne feraient alors que macérer aux tréfonds de nous-mêmes pour
ressortir un peu plus tard, plus intenses que jamais.
Alors oui, nous avons morflé, un peu. Pour Gabrielle, ça a été immédiat. Pour moi, qui ai toujours le réflexe de mettre de la distance entre la violence et mon psychisme, ça s'est fait en décalé.
Tout au long de la semaine dernière, j'ai flotté entre ma conviction que nous faisons ce qu'il faut et une espèce de déprime latente. Et c'est la discussion avec A., vendredi dernier, qui a ravivé
la violence initiale, éprouvée quelques jours plus tôt. Sans doute la période d'incertitudes que je traverse en ce moment sur le plan professionnel a-t-elle renforcé mon malaise...
Mais je vais mieux. Nous allons mieux. Quand le découragement guette, le meilleur remède est de rester actif, de prendre des initiatives, de reprendre la main. C'est ce qu'a fait Gabrielle dès
lundi matin. Pendant que j'amenais les enfants à leurs grands-parents pour les vacances de février, ma bienaimée a décroché le téléphone pour contacter pas moins de trois maternités.
Briançon d'abord, où nous nous sommes résolus à aller consulter le dernier des trois obstétriciens qui y exercent. La secrétaire qui note le rendez-vous se souvient très bien de nous, et pour
cause. Elle était présente lors de notre incartade avec le cas K.; elle avait même annulé le rendez-vous que nous avions deux semaines plus tard avec le Dr. M. Elle se montre néanmoins
compréhensive quand Gabrielle lui explique que nous avons été un peu vite en besogne et que nous souhaitons tout de même pouvoir le rencontrer. Elle se fend même de quelques encouragements,
estimant que le Dr M. est « beaucoup plus calme, beaucoup moins lunatique que son collègue, et qu'avec lui la discussion est possible ». Évidemment, entre l'annulation du premier
rendez-vous et la prise du second, l'agenda s'est considérablement rempli. Nous ne rencontrerons donc pas le Dr M. avant le 6 avril.
Deuxième appel, à la maternité de Gap cette fois. Au début de cette odyssée, nous n'imaginions même pas prendre contact avec cet établissement tant il nous semblait impensable d'y retourner après y
avoir si mal vécu la naissance de nos jumeaux. Mais il faut parfois savoir se montrer pragmatique (je n'aurais jamais
cru que je pourrais un jour penser cela ?!) et envisager l'accouchement dans une structure pas trop éloignée de chez nous au cas où notre enfant déciderait de découvrir le monde avec quelques
semaines d'avance sur nos prévisions. Et puis même si j'ai du mal à croire que les gens puissent changer, les équipes, en revanche, peuvent se renouveler. Celle de Gap semble s'être étoffée. Dans
notre souvenir, seuls trois obstétriciens y officiaient; six noms figurent désormais sur l'organigramme : trois hommes et trois femmes. C'est avec l'une d'entre elles que nous avons rendez-vous le
12 mars. Nous aviserons ensuite, en fonction de l'accueil qu'elle réservera à notre demande. Mais nous avons déjà un indice sur la politique de l'établissement : la sage-femme que Gabrielle a au
téléphone lui dit clairement que si elle arrive à la maternité en plein travail, il n'y aura pas de césarienne d'office. Ça peut paraître évident. Mais à entendre et lire les témoignages de femmes
qui se font ouvrir le ventre alors que le travail est en cours, sous le prétexte fallacieux qu'elles ont un utérus cicatriciel, toute précision est bonne à prendre.
Dernier coup de fil enfin, sans doute le plus encourageant, à la clinique de Vitrolles. C'est sur les conseils d'une doula que nous avons décidé de contacter cette maternité des Bouches-du-Rhône.
Coup de chance, le Dr S., dont nous avons entendu le plus grand bien, est présent et prend la communication. Après avoir pris les renseignements d'usage, il ne voit aucune raison de prescrire
d'office une césarienne itérative. Évidemment, il ne peut pas se prononcer sur le fond du dossier par téléphone; il propose de nous rencontrer après la dernière échographie pour lui permettre,
notamment, d'évaluer au mieux le gabarit du bébé. Si notre entrevue le convainc alors de tenter l'AVA2C, il se propose de présenter le dossier au staff et de nous dire lesquels des cinq autres
médecins qui travaillent dans cette maternité sont du même avis que lui. Cet entretien téléphonique ne nous apporte aucune certitude, mais l'amabilité et les propos mesurés de ce gynécologue nous
permettent tout de même d'être raisonnablement optimistes.
Comme un prolongement de son discours, la page dédiée à la présentation de la maternité sur le site internet de la clinique est parsemée de petites phrases plutôt encourageantes : "À ce jour, nous
ne faisons pas de prise en charge active du travail en systématique. De ce fait nous laissons le travail évoluer spontanément dans la mesure du possible (...) À Vitrolles, ce n'est pas
obligatoirement la péridurale (...) Sont à votre disposition des ballons, 2 à 3 baignoires (...) À la naissance, différentes positions sont envisageables". Je sais bien que ce n'est qu'une vitrine,
destinée autant à promouvoir qu'à informer, si ce n'est plus. Mais si cette approche quelque peu mercantile peut inciter les membres du personnel à se montrer plus respectueux des patients qu'ils
reçoivent, je n'y voit aucun inconvénient. Et puis il y a une réalité sur laquelle le site ne peut pas mentir : la clinique de Vitrolles offre aux femmes enceintes la possibilité d'accoucher dans
l'eau. Nous savons très bien que le recours à cette pratique ne sera pas encouragée pour Gabrielle, elle n'en a d'ailleurs pas forcément envie. Comme elle le dit elle-même, l'eau n'est pas vraiment
son élément. Mais le simple fait que cette clinique propose à ses patientes cette alternative, encore très peu répandue en France aujourd'hui, est un gage de son ouverture.
Nous croisons les doigts pour qu'elle le soit autant à nos demandes.