Ne serait-elle que l’ombre d’un rêve fuyant ?
C’est là l’obsession de Giorgio de Chirico, qui traverse son oeuvre depuis ses premières toiles jusqu’aux dernières (au MAMVP jusqu’au 24 mai). Après les autoportraits hier, voici quelques autres pépites.
Cette Enigme de l’heure (collection particulière; 55×71cm) date de l’été 1911, moment où il découvre Paris. C’est sans doute son premier tableau métaphysique, le premier où l’architecture occupe le devant. Les trois personnages sont à peine esquissés, l’ombre du marin (?) en blanc a tout autant d’existence. On trouve déjà ici les éléments d’architecture classique, la structuration de l’espace, encore très frontale, et bien sûr l’horloge, point focal du tableau. Dans ‘L’heure inquiétante’ en 1917, il écrira : “Cette heure sans nom sur les cadrans du temps des humains”.
A la fin de sa vie, en 1971, Chirico peint Il Meditatore, le méditant (Fondation Giorgio et Isa de Chirico à Rome; 149×147cm). Cet homme assis, au torse disproportionné, est couvert de flammèches blanches : langues de béton qui l’étouffent, monstres marins albinos bondissant sur lui, c’est une allégorie indéchiffrable. La main droite, vigoureuse, semble vouloir argumenter, mais le visage est minuscule, atrophié sous ces vagues blanches. La méditation ne peut être qu’inquiète, que suspendue et désabusée.
J’ai par ailleurs été fasciné par le rapport de Chirico au faux. D’une part, il n’hésite pas à dénoncer comme faux des tableaux anciens peut-être tout à fait authentiques, mais qu’il renie (photo ci-contre dans Paese Sera du 2 juin 1977). D’autre part, il duplique certains de ses tableaux anciens dans une grande discrétion. D’autres, comme Munch (dont le catalogue raisonné vient enfin de paraître), l’ont fait. Mais Chirico semble y mettre une délectation féroce : au vu de ses autres oeuvres contemporaines de ces répliques, on ne peut dire qu’il y ait épuisement créatif et ressassement stérile. Outre une revisite nostalgique de son travail passé, c’est plutôt à mes yeux un refus du chef d’oeuvre, un renoncement à la fétichisation de l’oeuvre unique, ce que Robert Motherwell nomme un suicide pictural. N’est-ce pas au fond le meilleur pied de nez qu’il puisse faire aux surréalistes qui l’ont honni, cette destruction de la valeur de l’oeuvre, en les battant sur leur propre terrain ? La vie ne serait-elle qu’un immense mensonge ?
P.S. : Ne manquez pas le film montré dans l’exposition; Chirico est superbe dans le non-dit, l’esquive et la férocité (écoutez-le parler du bon Docteur Barnes et de ses Nègres)
Photo 2 courtoisie du MAMVP (crédit photo : Giuseppe Schiavinotto). Giorgio de Chirico étant représenté par l’ADAGP, les reproductions de ses oeuvres seront retirées du blog à la fin de l’exposition.