Pris entre rivalités politiques, surenchère des constructeurs et flou scientifique, ce « projet structurant » pour Sophia Antipolis a bien failli avorter… avant d’être sauvé par la crise !
« Alors on ne fera pas le “Campus Stic” Monsieur Marouani ». Quelle mouche a donc piqué Eric Ciotti? D’habitude si maître de lui, le président du conseil général s’est vertement énervé contre le président de l’université Nice-Sophia Antipolis, vendredi dernier. L’heure était pourtant à la fête : accompagné d’une belle brochette d’élus, le préfet Francis Lamy effectuait sa première visite dans la technopole azuréenne. L’occasion de remettre en selle le projet “Campus Stic”, et de l’annoncer en conférence de presse. “Campus Stic” ? Késako?
Dans les cartons depuis 10 ans
Voilà une bonne dizaine d’années, l’idée a été lancée de regrouper à Sophia Antipolis, sur un même site, différentes écoles d’ingénieurs et de centres de recherche spécialisés dans les technologies de l’information de la communication. L’occasion de donner naissance du même coup à un campus universitaire dédié aux sciences et technologies de l’information et de la communication (les fameuses “Stic”). Sur plus de 20.000 m² de plancher, 3.000 à 4.000 étudiants seraient regroupés pour une première rentrée universitaire à l’automne 2006. Un projet censé être le fer de lance de la technopole et de son université… et dont le conseil général a voulu récupérer la maîtrise d’ouvrage en 2003 - bien que cela ne relève pas de ses prérogatives. « On a vraiment l’impression que tout a merdé à partir de là ». Le constat est cinglant. Il est dressé par un scientifique très actif sur la technopole. « Je n’ai jamais vu un bordel pareil ».
Le CG à deux doigts de jeter l’éponge
De fait, les embûches se sont multipliées pour le conseil général. Le Département se porte tout d’abord acquéreur de plus de 8.000 m² de terrain, au rond-point de Saint-Philippe, et débute d’importants travaux de terrassement. Entre-temps, la question du contenu scientifique du projet fait frissonner ses services : pas question de financer une « coquille vide » comme cela s’est déjà fait sur la technopole. Certains pointent du doigt l’inertie de l’université.
Pour ne rien arranger, les inimitiés entre les barons de la droite azuréenne, de part et d’autre du fleuve Var, ne font pas franchement non plus avancer les choses. Et pendant ce temps, le prix de la construction flambe. Le projet était censé coûter au départ à 45 millions d’euros, financés à hauteur de 15 millions par l’Etat, 10 millions par la région et 20 par le conseil général. A l’automne dernier, alors qu’aucun bâtiment n’était encore sorti de terre, un N-ième appel d’offres lancé par le conseil général était déclaré infructueux… malgré une réévaluation à hauteur de 76 millions d’euros. Pas assez cher pour que les pros du BTP fassent tourner leurs bétonneuses. Un surcoût considérable, à la charge du maître d’ouvrage. De quoi laisser craindre à de nombreux sophipolitains un abandon pur et simple de cette « université du IIIe millénaire ». Au-delà des discours rassurants de Christian Estrosi, alors grand patron du département, « le CG a fini par prendre peur devant ce coût pharamineux » raconte un haut fonctionnaire. Une éventualité qui a entraîné une véritable « levée de boucliers » du côté des responsables sophipolitains. « Les élus départementaux ont compris qu’il n’y avait plus moyen de faire machine arrière… » poursuit notre informateur. « Car tout le monde s’accorde sur un point : Sophia a besoin de ce projet pour rester une place forte dans le monde des “Stic”. »
L’aubaine du plan de relance
Depuis la crise économique est passée par là, et les choses ont bien changées. Les chantiers se font rares pour les constructeurs. L’Etat met en oeuvre son plan de relance. Et le département a un nouveau président… Eric Ciotti doit composer un budget départemental avec des ressources en chute libre, mais une bonne étoile veille. « Dans le cadre des campus prometteurs, nous avons déjà obtenu 10 millions supplémentaires de la part de l’Etat » expliquait-il vendredi soir. « Le conseil général peut également espérer obtenir 32 millions d’euros au titre du remboursement des crédits de TVA ». Pour compléter le tout, l’élu va « tenter de faire un nouveau tour de table le plus large possible ». La communauté d’agglo Antibes Sophia-Antipolis de Jean Léonetti devrait mettre la main à la poche. Et Eric Ciotti « ne pense pas que la Région puisse en rester là ». Mais attention, « ce ne doit pas être un effet d’aubaine pour les BTP : les entreprises devront elles aussi participer à l’effort ! » Fort de ses bonnes nouvelles, le président du conseil général a pu annoncer pour l’automne prochain le début de 18 mois de travaux.
Les élus enterrent la hache de guerre
Le “Campus Stic” était donc relancé, et « les ambiguïtés levées » avec la bonne volonté de tous. Un projet finalement redimensionné. Eric Ciotti précise : « Des éléments sont figés, d’autre seront optionnels comme le complexe sportif et la bibliothèque universitaire. » « Ah non! Pas la B.U. ! Un campus sans B.U., on n’en veut pas ! » Devant des journalistes médusés, Albert Marouani part au quart de tour : « Il ne peut y avoir de campus sans B.U. » De quoi susciter l’ire de son contrevenant. « J’appelle l’université à se pencher sur le contenu et nous laisser la charge du contenant » claque Eric Ciotti. Fermez le ban. Pas de quoi affoler un proche du dossier, présent dans la salle, qui confie une fois l’orage passé : « Marouani a fait son sketch, mais ce qui compte, c’est que Leonetti et Ciotti ont enterré la hache de guerre. Après, celui qui décide, c’est celui qui paye ! En l’occurrence, le conseil général. » La même source s’était résignée, quelques semaines plus tôt : « De toute façon, ce “Campus Stic” a été transformé en opération purement immobilière, sans véritable projet scientifique derrière. » La passation des marchés publics sera relancée demain.