Les propos, outre leur grossièreté, sont d’une rare violence : “Dans la situation actuelle, Mme Royal est très très mal placée pour venir mettre de l’huile sur le feu, aujourd’hui on a besoin de sérénité dans ce pays et non pas de politiciens arrivistes, qui viennent nous donner des leçons” et “nous dire ce qui est bon, ce qui n’est pas bon”.”Maintenant çà commence à suffire cette affaire là, maintenant si elle n’a rien à dire, qu’elle se casse, çà commence à bien faire cette affaire là”, “elle sera mieux en Poitou Charente qu’en Guadeloupe”.
La dérive verbale du président de la république n’y est sans doute pas pour rien. “Le casse-toi pauvre con” prononcé par Nicolas Sarkozy il y a tout juste un an au salon de l’agriculture est encore, et pour un certain temps, dans toutes les têtes.
Le mode d’interpellation du responsable patronal guadeloupéen à l’égard d’une élue de la République candidate aux élections présidentielles n’en reste pas moins inadmissible. Certes, il s’inscrit dans les vives tensions qui traversent l’île mais, le soleil des Antilles n’explique pas tout. Ségolène Royal est une élue qui, à l’image de Nicolas Sarkozy, laisse rarement indifférent. On aime ou on déteste, rarement avec modération dans une gamme de réactions épidermiques des plus variées.
Arrivée samedi en Guadeloupe, la présidente de la région Poitou-Charentes ne s’est livrée à aucune déclaration révolutionnaire ou inadaptée. Elle a simplement exprimé le sentiment partagé par de nombreux Français de voir se conclure le conflit social. Selon un sondage BVA pour Orange, L’Express et France-Inter rendu public mardi, 78% des Français trouvent justifié le mouvement social. Prenant la précaution de séparer le bon grain de l’ivraie, elle a demandé dimanche aux grands patrons d’accorder 200 euros d’augmentation aux salariés. Idem pour les PME mais cette fois avec l’aide de l’Etat. “Ce qui manque c’est le geste des gros patrons qui se sont enrichis pendant des années sur le système néo-colonial”.
Sans donner de noms Mme Royal n’a pas caché qu’elle visait par ses propos “deux gros patrons qui contrôlent la quasi-totalité des importations et de la grande distribution”. “Il faut que ces grands patrons fassent un signe et donnent les 200 euros dès lundi matin” à la reprise des négociations, a-t-elle ajouté.
Pas de quoi fouetter un chat. Mais le patronat qui tient la dragée haute à l’Etat sur l’île n’entend pas qu’une métropolitaine vienne lui faire la leçon. Aucune désapprobation des propos du responsable patronal n’a été formulée pas plus sur place qu’à Paris que ce soit du Medef ou de l’UMP. Au contraire, l’UMP et le gouvernement, remarqués pour leur absentéisme sur le dossier, reprochent à la présidente de région sa venue sur l’île.
Dominique Paillé porte-parole adjoint de l’UMP s’est borné à estimer que “Ségolène Royal a un comportement de vautour indécent.” Le rappel brutal d’Yves Jégo, l’absence de déplacement du Premier ministre et du Président, attestent pourtant d’un problème dans la relation entretenue par l’actuel exécutif à l’égard de la Guadeloupe, donnant le sentiment que les territoires d’Outre-mer pourraient constituer la chasse gardée de quelques-uns.
L’analyse de Ségolène Royal est partagée par Le Monde qui écrit dans ses colonnes, qu’ “Il y a patron et patron, en Guadeloupe”. Le quotidien relève notamment la fracture entre les petits patrons qui jugent légitimes même s’ils ne peuvent la satisfaire la revendication des 200 € et les autres, notamment le Medef.
Selon l’article, le Medef métropolitain suivrait de très près le conflit.”En Martinique, Patrick Lecurieux-Durival, président du Medef local, confirme que le siège parisien suit avec attention la situation. Il dément que c’est à la demande des Medef antillais qu’Yves Jego a été rappelé à Paris. Selon lui, Mme Parisot serait intervenue auprès de M. Fillon, après avoir entendu M. Jégo sur Europe 1. “Elle a vu venir le coup de fusil et a réagi”.
Lundi François Fillon a demandé,à chacun”, mais surtout à Ségolène Royal, de “garder son sang froid et de laisser les partenaires sociaux discuter” en Guadeloupe. “Ils ont les éléments pour trouver une solution. C’est entre leurs mains que la situation repose”, a ajouté un peu vite le Premier ministre. On sait aujourd’hui que si l’accord a été frôlé d’un cheveu, la situation est désormais bloquée. Elie Domota, leader du LKP, a affirmé lundi, qu’”une fois de plus” l’Etat “se débine”, après que le préfet eut émis de fortes réserves sur une “proposition” formulée par certains partenaires sociaux.
Vilipendée par la droite, Ségolène Royal peut compter sur le soutien inattendu de son ex compagnon François Hollande. “Il y aurait eu la mort d’un syndicaliste en métropole, vous pensez qu’il y aurait eu l’absence totale de tout représentant du gouvernement? Je mets en cause là une indifférence et c’est cette indifférence qui est regardée comme un mépris” par les Guadeloupéens, a déclaré le député de Corrèze sur RTL.
Relativement discrète sur le sujet, Ségoléne Royal entretienun lien particulier avec les Antilles. Enfant, elle a vécu en Martinique. Le titre de son dernier livre, “femme debout”, est emprunté au vocable antillais.