Créer en France une littérature “de genre” moderne et de qualité semble être devenu l’un des objectifs souterrains de certains jeunes écrivains. Ainsi, quelques mois après le décevant Scream test de Grégoire Hervier, les éditions Au diable Vauvert ont le culot de balancer, en pleine rentrée littéraire, deux nouvelles tentativtes. 10 000 litres d’horreur pure de Thomas Gunzig et Tourville d’Alex D. Jestaire sont cependant trop inégaux dans leur qualité respective pour y voir déjà les premières pierres d’un réel mouvement.
Après Le plus petit zoo du monde et Kuru, on s’attendait à trouver Thomas Gunzig (photo ci-contre) partout sauf dans la résurrection littéraire d’un genre cinématographique qui connut ses heures de gloires au cours des années 80. Dans le survival, auquel les Vendredi 13 ont notamment donné une popularité immense, réunit quelques codes inamovibles. Comme l’explique Gunzig dans son « Introduction en forme de justification », le genre consiste à réunir « un groupe de jeunes gensissus d’un milieu urbain, des caractères stéréotypés (…), un moment de vacances (…). Et puis, évidemment, la rencontre avec le mal incarné par des gens de la campagne profonde et la mort de tous les urbains ». Autant de caractéristiques scrupuleusement suivies par l’auteur dans son troisième roman, 10 000 litres d’horreur pure, qu’il définit comme sa « modeste contribution à une sous-culture ».
Cinq étudiants partent se détendre dans un chalet au bord d’un lac après leurs examens. Dans la nuit, l’un d’entre eux est assommé par un rôdeur. Il décide avec sa copine de partir à sa poursuite. Sans se douter que commence pour toute la bande une longue plongée dans l’horreur… Accompagné d’illustrations saisissantes de Blanquet (connu notamment pour son travail dans Technikart), 10 000 litres… est une réussite du genre ! Soutenu dans son écriture le rythme qu’aurait adopté un cinéaste, Gunzig insuffle dans son texte autant de scènes terrifiantes que d’humour ravageur ! Bien sûr, 10 000 litres… ne marquera probablement pas l’histoire de la littérature, mais il n’empêche que son auteur fait preuve d’une réjouissante maîtrise pour mener un récit de genre.
On ne pourra, hélas, pas en dire de même d’Alex D. Jestaire. Pour son premier roman, Tourville, le jeune auteur a de toute évidence eu les yeux plus gros que le talent ! Dans ce pavé de presque 800 pages, on suit le parcours de Jean-Louis, intermittent du spectacle à la manque, après son départ de Paris. Le trentenaire a décidé de revenir de son Tourville natal, car son meilleur ami d’enfance est porté disparu. Avec une bande de marginaux rencontrés sur place et une petite caméra numérique, Jean-Louis investit l’appartenant de son copain. Il le transforme en une “base d’intervention” afin de tenter de répondre à une question pour le moins stupéfiante : Tourville serait-elle une ville définitivement coupée du reste de l’univers ?!
Bien sûr, il serait injuste de ne pas reconnaître les multiples côtés sympathiques de ce « gonzo reportage de la fin du monde », comme le qualifie son éditeur. Une référence à Hunter Thompson dont on pourra par ailleurs douter de la pertinence. Car, outre la narration à la première personne et l’abus de stupéfiants dans le récit, l’influence est de toute évidence la pop culture commune à tous ceux ayant été adolescents dans les années 80 (et certainement pas la “beat generation” trente ans plus tôt). Et l’on sent bien chez l’auteur un amour profond pour ses “classiques” dans le très (trop ?) nombreuses allusions qui leur sont faites !
Fallait-il néanmoins près de 800 pages pour traiter un sujet qui, pour être véritablement efficace, aurait nécessité au contraire d’en être soulagé d’au moins 300 ? Car malgré la nervosité et le délire qu’il sait insuffler au récit, Jestaire se prend souvent au hasard d’un chapitre les pieds dans le tapis. S’en suivent alors dix, quinze, vingt pages inutiles et laborieuses. Et qui peuvent finir, à la longue, par décourager les plus téméraires à poursuivre le livre jusqu’à la fin. C’est d’autant plus dommage que Tourville est une tentative de littérature nouvelle en France qui aurait pu, avec quelques coups de ciseaux bien placés, donner un véritable coup de neuf sur le marché des premiers romans. (…)
« 10 000 litres d’horreur pure » de Thomas Gunzig, Ed. Au diable Vauvert, 252 pages, 15 €