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Trois tarés s'en vont au bal

Par François Monti

Il en va des écrivains comme de la bourse, diront certains : on ne sait pas toujours bien pourquoi la cote monte ou descend. C’est un peu mon cas en ce qui concerne Rick Moody, auteur relativement bien vu par les amateurs de fictions pointues comme par ceux de textes classiques de qualité. Il aura suffi de « The Diviners », un roman pas vraiment réussi mais pas non plus totalement raté, pour que le premier groupe que j’évoquais se mette à tourner le dos lorsque l’on prononce son nom. Jugement sévère qui ne sera peut-être pas revu à la faveur de la publication du finalement assez bon « Right livelihoods ». Mais qu’en sais-je ?

Les nouvelles de Moody ont toujours été les pièces les plus intrigantes de son travail, les romans perdant parfois un peu du mystère et de l’étrangeté qui les enveloppent souvent pour gagner, sans doute, à la fois en clarté et en rigueur narrative. Les trois novellas reprises dans « Right livelihoods » se trouvent en fait à mi-chemin entre ces deux pôles, et ce n’est pas plus mal.

En guise d’entrée en matière, on a « The omega force », sans doute le meilleur des trois textes. Sur une île de la côté Est des Etats-Unis, le docteur Van Deusen, retraité d’une administration gouvernementale et un peu siphonné, trouve un roman d’espionnage de seconde zone qu’il identifie assez rapidement comme un rapport codé de la CIA l’avertissant personnellement de l’invasion prochaine de son bout de terre par des terroristes à la peau sombre. Il se met sur la piste des méchants en tentant de décrypter les indices dissimulés sous les apparences les plus anodines. Ce qui fait la réussite du récit, c’est la paranoïa drôlissime de Van Deusen. Ce personnage est l’idée géniale de Moody, la matrice d’une histoire qui sans lui n’aurait peut-être été qu’une version satirique de la folie anti-terroriste actuelle du gouvernement US : il donne de la chair à ce qui aurait pu terminer comme trop de nouvelles de George Saunders, paraboles politiques avant d’être des œuvres littéraires.

« K&K » est le texte le plus faible du recueil quoique non dénué de charme. Ellie s’occupe de l’organisation quotidienne d’une petite compagnie d’assurance. Parmi ses tâches, celle de relever les suggestions déposées par les employés dans une boîte réservée à cet effet. Elle y retrouve des messages de plus en plus inquiétants et s’attache à en débusquer l’auteur. C’est aussi le portrait un peu trop classique de l’employée trentenaire sans vie sentimentale et consacrant son temps libre à cultiver sa mélancolie. Amusante comme les histoires de Moody peuvent l’être, elle donne pourtant l’impression de n’être qu’un interlude discret entre les deux pièces majeures de « Right livelihoods ».

Le récit qui clôture le livre est le plus atypique. « The Albertine notes » est un texte de genre commandé par McSweeney’s en 2003. Dans un New York d’après la catastrophe, une drogue circule, éclipsant toutes les autres : l’albertine permet de revivre le passé d’une manière pas seulement réaliste mais presque concrète. Une revue commande à Kevin Lee, jeune journaliste sans le sou, un article sur ce phénomène. L’enquête n’est pas facile et il se retrouve rapidement instrumentalisé dans une guerre entre le trafiquant protégé par ce qu’il reste de la force publique et quelques scientifiques résistants. Les enjeux sont d’importance, parce qu’il semble bien que la drogue permette parfois de prédire l’avenir et surtout qu’il est possible d’intervenir sur les souvenirs – c’est dans ceux-ci que le conflit se fait le plus sanglant. C’est un récit aux multiples qualités : d’une part, on sent Moody particulièrement impliqué dans la description des junkies et des phénomènes de dépendances dont on sait la connaissance personnelle qu’il en a, donnant ainsi de véritables qualités humaines au texte, mais c’est aussi une occasion de rire gentiment des gueguerres et des jargons académiques de certains déconstructionnistes, post-féministes et autres philosophes postmodernes. C’est surtout une histoire débordant d’imagination et de créativité, à un point tel qu’on se dit qu’il aurait peut-être été plus sage d’en faire un vrai roman : le trop plein de pistes rend l’ensemble, et c’est là ma seule critique, par trop confus.

Les mauvaises langues diront que dans ces trois novelles, Moody n’a fait que donner sa version des fictions à la mode du moment : celles anti-adminstration Bush, celles sur la vie au bureau et celles du monde post-apocalyptique. C’est, d’une certaine manière, assez vrai, mais c’est oublier un peu vite que Moody n’est pas n’importe quel auteur : même noir, son humour est ravageur et il y a toujours assez de jeux dans ses écrits pour faire montre d’originalité et déjouer le piège de la banalité.

Rick Moody, Right Livelihoods, Little, Brown, $23.99

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