Aujourd’hui, mardi le 24 février 2009, à mon école, j’ai eu l’occasion de rencontrer Jean-Pierre Blackburn, ministre fédéral conservateur de l’agriculture et ministre d’état* du revenu. La conversation a porté en grande partie sur la crise économique, mais elle nous tout de même réservé quelques surprises à moi et au camarade Ben, camarade étudiant avec moi et également présent à cette rencontre. Je vous présente ici les grandes lignes de cette rencontre qui a duré un peu moins d’une heure et demi.
*Ministre d’état: L’équivalent au fédéral d’un sous-ministre provincial. Ils en connaissent souvent plus sur les sujets touchant à leur ministère qu’au ministres eux-mêmes.
D’entrée de jeu, le ministre se familiarise avec la salle, dans laquelle étaient également présents des gens en formation professionnelle, avec quelques pointes d’humour bien propres à ces chers saguenéens. Jusque là, tout va bien, un peu d’humour n’a jamais fait de mal à personne. C’est alors que le sujet du logement est abordé par des élèves, qui font valoir que la ville albertaine de Calgary (la “capitale nationale” du conservatisme canadien), qui est en grand manque de main d’oeuvre, ressemble à un piège pour les travailleurs. Certes, une ville où tant d’emplois sont disponibles en temps de crise économique semble alléchante, mais il y a également un revers majeur dans cette situation: Alors que le salaire horaire moyen y est de 12$ l’heure, un appartement standard y coûte pas moins de 1000 dollars par mois. Rien de bien abordable pour des “touristes travailleurs” à 12$ l’heure disons… la réponse du ministre a été de parler des plans fédéraux d’aide à la rénovation. Rien de surprenant, jusqu’à ce qu’il nous sortes une blague un peu déplacée: “Ce genre d’aide est vraiment pratique, surtout avec les femmes qui veulent toujours tout rénover dans vos maisons: La cheminée, la cuisine, le salon… bref, vous savez comment elles sont (rire un peu forcé).” Venant d’une personne ordinaire, ça ne m’aurait pas dérangé. En fait, même venant d’un élu, ça ne m’aurait pas fait tiquer outre mesure… mais dans le contexte actuel de chasse aux sorcières dans les médias (les sorcières étant les personnes “politiquement incorrectes” selon l’élite dirigeante), en plus des qualifications insultantes de “terroristes”, puis de “sectaristes” à l’endroit de députés élus du Bloc Québécois formulées par des membres du cabinet Harper à la chambre des communes et du déluge d’insultes et de calomnies qu’a dû supporter Amir Khadir à la suite de son simple lancé de soulier contre une affiche de George W. Bush, symbole international d’abus des droits de la personne, de la guerre, des crimes de guerre et de l’impérialisme en général (insultes reçus malgré le fait qu’il eu spécifié avant son geste symbolique qu’il ne lancerait jamais de soulier à qui que ce soit en vrai)… surtout avec le cas d’Amir en exemple, disons que la droite devrait être d’accord sur le fait qu’un ministre fédéral ne devrait pas tenir ce genre de propos en public.
Ensuite, la situation des chômeurs fut abordée. Un élève demanda ce que le gouvernement comptait faire pour aider les chômeurs, ce à quoi le ministre répondit: “Dans le dernier budget fédéral, nous avons dû nous retrouver avec un déficit de 34 milliards de dollars. Ce n’est pas rien, surtout que nous prédisions un surplus budgétaire d’un milliard en 2009. Malheureusement, notre secteur privé, qui s’occupe de l’exportation de nos produits vers les marchés étrangers, marché dont les États-Unis occupent 84% de l’espace, est paralysé par la présente crise économique et les États-Unis n’achètent plus autant qu’avant les produits étrangers comme ceux du Canada. C’est pour cette raison que nous avons dû, au fédéral, transformer un surplus d’un milliard en un déficit de 34 milliard: Pour compenser ce que le privé n’a pas été en mesure de faire.” (ouch…) “Dans ce budget, des mesures ont été prises afin de venir en aide aux travailleurs ayant perdu leur emploi. Nous avons pris l’excellente initiative d’allonger le temps de prestation à l’assurance-chômage de 5 semaines.” (Concrètement et au vu de l’ampleur de la crise qui se pointe à l’horizon pour le Canada, ces mesures sont nettement insuffisantes.) ”Nous avons débloqué 40 millions de dollars pour la formation professionnelle, ce qui aidera les travailleurs à trouver de nouveaux emplois lorsque la crise sera terminée.” Ce qui me fait tiquer dans cette politique, ce n’est pas seulement le fait que les conservateurs appréhendent déjà la fin de la crise sans même l’avoir affronté, mais surtout le fait que le regretté camarade Henri Gagnon, dans son livre de 1989 intitulé “Les dinosaures du XXe siècle”, avait déjà prouver la parfaite inefficacité de cette mesure qui ne consistera, à court et à moyen terme, qu’à créer un grande classe de chômeurs instruits. En résumé, il n’y a là, comme pour le budget Mulroney-Wilson de la même année (1989), absolument rien de concret pour les travailleurs. Ce “budget” n’est qu’un énorme plan d’aide destiné aux grandes entreprises parasitaires et financé à même les fonds publiques! Ça me fait un peu penser à ce que le gouvernement irlandais tente de faire faire chez lui, sauf que ce dernier s’est ramassé avec une puissante manifestation populaire entre les mains. Le mouvement contestation et de ras-le-bol populaire là-bas est indéniable. Les irlandais connaissent les limites que leur gouvernement ne doit pas franchir, eux au moins…
Ensuite, dans le cadre d’un tour de table pour savoir ce que les intervenants présents voulaient faire dans la vie, monsieur Blackburn nous parla brièvement de son fils et de l’expérience de ce dernier dans l’armée, à la suite de quoi il dut lui aussi terminer ses études. C’est alors que vint le tour du camarade Ben, qui a lui même été “servir” dans l’armée, dont six mois en Afghanistan. Il raconta au ministre conservateur comment son expérience dans l’armée canadienne lui avait ouvert les yeux et fait découvrir qu’au final, il était dans son intérêt de finir ses études plutôt que de vivre des illusions des forces armées canadiennes. Le ministre, une lueur dans l’oeil, demanda: “L’Afghanistan? C’est intéressant ça. Continuez s’il-vous-plait.” Ben: “Pour être allé en Afghanistan, je peux vous dire que ce n’est certainement pas une mission de paix. C’est une mission de guerre vraiment violente et nous commettons des crimes dans cette guerre. Tout ce que je peux dire, c’est que le gouvernement ne dit pas tout à la population. L’armée nous cache des choses.” Le ministre conservateur (visiblement déconcerté), qui était pourtant “intéressé” il y avait à peine 30 secondes, changea subitement de sujet… et d’interlocuteur.
Avant cet épisode, le ministre conservateur avait abordé brièvement l’accord de libre-échange Canada-Pérou comme “exemple” pour “améliorer le sort des travailleurs étrangers tout en retirant de bons bénéfice pour le Canada”. Voici le moment le plus marquant de cette discussion selon moi…
(la vrai valeur des “droits humains” selon le capitalisme)
Pourquoi cette affirmation? Tenez-vous bien: J’ai finalement pu prendre la parole et j’ai décidé de demander des clarifications sur ce fameux lien entre le libre-échange et les droits humains. Il me répondit qu’il avait voyagé là-bas (au Pérou) et qu’il y avait vu la misère des gens et comment ils s’entraidaient et que c’était magnifique et que selon lui et monsieur Harper, il fallait les aider… en faisant affaire avec leur élite corrompue et despotique… ouais… je lui ai ensuite fait remarquer que le Pérou et la Colombie, deux pays avec lesquels le Canada a conclu des accords de libre-échange, ont de bien piètres résultats en matière de droits humains. Il me répondit alors que le que le gouvernement canadien était au courant de ce fait, en plus du fait que le Pérou et la Colombie ne répondent à aucune des normes élémentaires en fait de droits des travailleurs (sécurité minimale des lieux de travail, travail des enfants en bas âge, exploitation inhumaine, dignité des travailleurs, discrimination sexiste, menaces (et meurtres) contre les membres de syndicats, etc.)… logiquement, il enchaîna immédiatement: “Bien-sûr, nous faisons pression sur les gouvernements fautifs pour qu’ils fassent respecter les droits élémentaires des travailleurs, mais nous sommes fier, au gouvernement canadien, d’inclure une clause punitive dans nos accords de libre-échange: Lorsqu’un état signataire ne respecte pas ses engagements en fait de droits humains, une pénalité de 15 millions de dollars lui est imposé, une somme qui lui sera ensuite rendue avec la garantie de l’état fautif qu’il réinvestira cette somme pour améliorer le sort des travailleurs dans le pays.” … Je suis convaincu que je ne suis pas le seul ici à trouver cette mesure totalement insignifiante. Pour état narco-traffiquant et bourré d’autres ressources naturelles comme la Colombie, qui possède un budget de plusieurs milliards de dollars, en plus d’être armé pour pratiquement aucun coût par les USA, qui arment et aident financièrement le Pérou également, 15 millions, ce n’est rien. Pour mettre la situation en image, disons que c’est comme si j’allais dans un restaurants hupé manger un repas à 100$ avec un vin à 300$ et qu’il me serait permis de payer le tout avec une poignée d’arachides, en l’honneur de ma mauvaise conduite. Rappellons que les deux états voyous mentionnés ici étaient cités en “exemples de démocraties” par le criminel de guerre Bush de Washington. Une “démocratie” dans ce sens là, non merci.
Après cette révélation, j’ai insisté sur le fait qu’on ne pouvait pas faire confiance à un gouvernement comme celui d’Alvaro Uribe, qui bafoue systématiquement les droits humains en envoyant ses paramilitaires gouvernementaux massacrer des paysans et assassiner des opposants politiques. J’ai ensuite cité un cas de meurtre d’un opposant politique d’Uribe… “Faisait-il partie des FARC?” me demanda-t-il. “Non, il ne faisait pas parti des FARC monsieur, il faisait parti du… c’était quoi déjà… ah oui: Le Parti Communiste Colombien. Cet homme a été abattu par la police pour ses idéaux politiques et des organisations comme Human Right Watch dénoncent beaucoup d’autres cas similaires.” lui répondis-je. Le ministre réplica alors qu’il s’agissait bien d’un point à observer, mais que “ce n’est certainement pas une pratique systémique du gouvernement”. J’ai donc lâcher le morceau, satisfait d’avoir fait ressortir le manque d’argument d’un ministre fédéral (ayant voyagé dans la région) en la matière. Il faut aussi avouer que vu le peu d’intervenants présents à l’évènement (assez discret il faut dire), effectuer un coup d’éclat contre le gouvernement et ses pratiques fort douteuses à l’étranger ne comportait aucun avantage pour notre cause à mes yeux. Soulignons également aux miltants enragés de la droite et de l’extrême droite que si le massacre de milliers de paysans et d’opposants politiques en Colombie ne constitu pas une “pratique systémique du gouvernement colombien” (du narco-trafiquant Alvaro Uribe), je vois mal comment le meurtre de quatre militants syndicalistes par des policiers corrompus de la droite au Vénézuela pourrait en constituer une.
Pour finir, notons que le ministre conservateur a terminé la rencontre sur une note d’arrogance en vantant sa “grande victoire” sur la candidate bloquiste dans sa circoncription. Je me suis pour ma part gardé une petite gêne en ne lui rappellant pas que le candidat conservateur dans Rivière-Des-Milles-Îles et maire verreux de Saint-Eustache, Claude Carignan (que Blackburn avait visité peu avant son arrivée), s’est fait écrasé dans les urnes par Luc Desnoyers, le nouveau venu du Bloc dans la circonscription.
Sur ce, mes salutations solidaires à tous les lecteurs et lectrices et rappellez-vous: Les ministres ne sont pas des gens “d’un autre niveau” ou quelque chose du genre, ce sont des humains comme vous et moi, avec leurs failles et leurs forces. Ne soyez jamais intimidés par un ministre, en particulier si ses agissements ne commandent pas le respect.
Vive le Québec libre, future nation exemplaire dans le domaine des droits humains!