Découvert avec La chambre de Officiers (une vingtaine de prix littéraires), Marc Dugain passe au cinéma et adapte lui-même Une exécution ordinaire, avec André Dussolier et Marina Hands dans les rôles titres. Dans En bas les nuages, un recueil de 7 nouvelles, il assassine, à coups de petites phrases venimeuses, des couples en plein marécage amoureux, et qui pataugent dans une société consumériste.
Après La chambre de Officiers, la Malédiction d’Edgar et Une exécution ordinaire, parus chez Gallimard, vous publiez ce recueil de nouvelles, chez Flammarion. Vous avez changé de maison d’édition ?
Non, j’ai d’ailleurs déjà un roman en préparation à paraître chez Gallimard. Il se trouve simplement que j’avais promis à Teresa Cremisi, avant qu’elle ne prenne la tête des éditions Flammarion, un livre. Je suis un homme de parole, je lui ai donc proposé celui-ci.
Est-ce que l’une des nouvelles aurait pu devenir un roman ?
Je n’en ai jamais eu l’intention. J’avais envie d’histoires courtes, elles sont venues les unes après les autres. En fait, j’en ai écrit le double, mais je conserve une partie pour moi.
Quel est le ressort romanesque qui sous-tend le recueil ?
J’aime m’attacher à des personnages modestes, parfois même médiocres, pris dans leur époque. Le ressort de tous mes romans, c’est de confronter la petite et la grande Histoire. En ce sens, mes livres sont politiques, car je m’intéresse à la communauté des hommes, j’observe notre espèce qui disparaîtra inéluctablement un jour. Au regard de la galaxie, qui sommes-nous ? Pas grand-chose ! Nous pouvons mourir à chaque moment. Je ne parle pas seulement des dangers écologiques que nous faisons courir à notre planète, et donc à nous-mêmes, mais également de tout ce que nous ne maîtrisons pas, comme la probabilité qu’un météorite puisse s’abattre sur notre Terre.
Dans vos nouvelles, vous avez des mots très durs sur vos semblables. « Un couple me fait face. Les deux sont éteints, (…) ils ne se regardent ni se parlent. Le désenchantement suinte de chacun de leurs gestes. Elle a un visage refait. Ses lèvres sont gonflées, figées. Ce sont celles de Donald Duck au moment du passage à la pellicule couleur. Sa peau est tendue comme un tambourin. »
Je ne crois pas être plus tendre avec les hommes. Les femmes ont un ancrage plus intéressant à la réalité, chez les hommes, on trouve une obsession compulsive ; en général, il y a une grande difficulté à se comprendre et à vivre ensemble. Nous restons égoïstes.
Votre titre est très poétique, pouvez-vous l’expliquer ?
Le suivant le sera encore plus (L’insomnie des étoiles). J’aime choisir seul mes titres, j’ai voulu y mettre de la spiritualité, qui fait tellement défaut à notre espèce humaine. Les religions monothéistes rassurent les gens sur la mort pour les empêcher de réfléchir. La spiritualité, elle, s’interroge sur la vie.
Sans jouer à l’anticapitaliste primaire, nous vivons dans une société productiviste, consumériste, matérialiste où la part de connaissance de soi est très limitée. Nous accumulons du savoir lors de nos études pour nous insérer dans cette société… sans la changer !
L’écrivain a-t-il un rôle à jouer ?
Il est là pour témoigner de ce que nous voyons tous, mais que peu de gens regardent vraiment. Il offre du recul sur le quotidien. Souvent, il m’arrive de lire ce que j’ai pensé de façon inconsciente.
Etes-vous pessimiste ou optimiste ?
Assez pessimiste, j’ai des conversations quasi quotidiennes avec Jean Rochefort à ce sujet. Je m’étonne toujours de notre arrogance des hommes et de leur acharnement à se détruire alors que nous allons tous disparaître à plus ou moins long terme. Pourquoi ne pouvons-nous pas vivre en harmonie ? Je regarde mes contemporains comme j’observerais une mouche en train de se débattre pour survivre.
Vous êtes très moqueur…
La dérision est le seul remède pour s’en sortir, un humour à la Woody Allen.
Vous adoptez une formule de John Fante « On ne peut pas être à la fois méchant et grand écrivain ». Vous y croyez ?
C’est une phrase qu’il a écrite au second degré et je la prends également comme telle. La connaissance, la culture ne rend malheureusement pas meilleur. Un type qui écrit n’est pas forcément quelqu’un de bien.
Vous avez commencé le tournage de votre premier film, l’adaptation d’Une exécution ordinaire. Or vous faites dire à un de vos personnage : « Je m’en fous de figurer dans le dictionnaire des noms propres, dans la liste interminable des exégètes qui espèrent que leur contribution leur permettra de passer la postérité. Je laisse tomber la littérature et le théâtre. » Et vous ?
Je ne veux rien arrêter, j’aime toujours autant les deux ; aujourd’hui, c’est plus une question d’emploi du temps. Nous avons tourné en studio, à Champigny-sur-Marne, et nous allons en Roumanie pour la suite. Il s’agit de la première partie du livre, avec André Dussolier dans le rôle de Staline, Marina Hands dans celui d’une magnétiseuse, sommée de soulager le petit père des peuples, et Edouard Baer qui jouera son mari. Après, je ne sais pas. J’ai adapté les Nouvelles de Tchekhov que j’aimerais monter avec Jean Rochefort. Et j’ai deux autres projets de roman.
Interview réalisée par Nathalie Six pour le magazine Femmes (numéro de mars 2009, daté du 26 février)
"En bas, les nuages", 7 histoires, de Marc Dugain, Flammarion, 320 p., 20 euros.