"Ceux qui restent": et la vie continue

Par Buzzline

 
Il ne faut pas passer à côté de "Ceux qui restent", premier film de l'actrice Anne Le Ny qui, quand on fera en fin d'année le bilan des meilleurs films français à classer sur les doigts d'une seule main, sera sans doute de la partie... Pour ceux qui rentrent de vacances et cherchent le divertissement au cinéma, c'est un peu raté : les deux meilleurs films à l'affiche ce mercredi sur les écrans français sont "4 mois, 3 semaines et 2 jours" et "Ceux qui restent". Le premier, Palme d'or à Cannes, raconte l'histoire d'un avortement clandestin dans la Roumanie de Ceausescu. Le second décrit la relation entre deux personnages dont les conjoints sont hospitalisés pour un cancer. Comme franche rigolade, on fait mieux...

Pourtant il ne faut pas passer à côté de "Ceux qui restent", premier film de l'actrice Anne Le Ny qui, quand on fera en fin d'année le bilan des meilleurs films français à classer sur les doigts d'une seule main, sera sans doute de la partie. Un film délicat, tout en retenue, qui évite les pièges du mélo et met en scène deux acteurs formidables, Vincent Lindon et Emmanuelle Devos.

C'est dans les couloirs d'un grand hôpital qu'ils se rencontrent. Bertrand (Vincent Lindon), prof d'allemand, vient tous les jours en RER voir sa femme soignée pour un cancer du sein depuis cinq ans. Il a une belle-fille adolescente avec qui les rapports sont tendus, car elle a du mal à accepter la maladie de sa mère et à venir lui rendre visite à l'hôpital. Bertrand est calme, renfermé, solide et raisonnable, qui a appris à affronter la dureté de la situation.

Au contraire, Lorraine (Emmanuelle Devos) est exubérante, légère, extravertie, et n'assume pas le rôle traditionnel de l'infirmière dévouée. Dans une autre aile de l'hôpital, son compagnon, qu'elle connaît depuis un an, souffre d'un cancer du colon. Elle est graphiste dans la presse et supporte mal la culpabilité d'être en bonne santé alors que son ami est malade.

Bertrand et Lorraine se croisent plusieurs fois, font connaissance, sympathisent, ils se retrouvent à la cafétéria de l'hôpital, elle le ramène en voiture à sa station de RER. "Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas m'accrocher à vous comme à une bouée", lui dit-elle assez vite, novice de cette situation de visiteuse de malade. "Chacun fait ce qu'il peut comme il peut. Il n'y aura pas de bons points à l'arrivée", déclare-t-il de son côté, agacé, usé par cinq années de présence quotidienne auprès de sa femme hospitalisée dans la chambre 34.

Et pourtant, insidieusement, ce qu'on pourrait appeler de l'amour va naître entre eux. Eux qui aiment leurs conjoints malades. "On fait quelque chose de mal ?", finit par demander Lorraine à Bertrand, quand leur relation devient plus intime. Un jour, après de nombreuses rencontres, ils s'embrassent dans le parking de l'hôpital...

Le sujet du film pouvait prêter à dérapage mélodramatique. Il n'en est rien, Anne Le Ny tient la distance, évitant les larmes et choisissant de ne montrer ni les deux conjoints, ni les médecins, ni les infirmiers, concentrant le film dans les lieux les moins médicalisés de l'hôpital : cafétéria, kiosque à journaux, parking, terrasse. "En général, je suis plus touchée par les gens qui luttent pour contenir leur émotion que par ceux qui s'y abandonnent totalement", dit-elle.

Faut-il se sentir coupable d'être vivant, en bonne santé, quand ceux qu'on aime souffrent et sont malades ? "J'avais envie de parler des 'dommages collatéraux', de ceux qui vivent la maladie en seconde ligne, en accompagnant quelqu'un qui souffre", explique la réalisatrice. "Bien sûr, ce ne sont pas eux les 'combattants', mais c'est une position difficile, avec son lot de culpabilité, d'épuisement, de peur constante. (...) C'est parler de la maladie en n'étant pas du côté des héros -les malades ou les médecins- qui m'intéressait".

Le sujet peut paraître triste et lugubre, mais il est traité avec pudeur, humanité, et beaucoup d'humour, par petites touches régulières et parfois inattendues : le spectateur oscille entre rire et larmes sans sombrer d'un côté ou de l'autre. C'est un premier film très réussi pour Anne Le Ny, actrice au nom peu connu mais au visage familier et qu'on reconnaîtra puisque, dans l'histoire, elle interprète la soeur de Vincent Lindon.

La toute première séquence, pendant le générique, filmée de haut, donne une idée de la délicatesse du film : on croit que c'est très mélo, plutôt émouvant, et quelques minutes plus tard on comprendra que ça n'a pas cette signification en apprenant que Vincent Lindon vit avec sa belle-fille. De la même façon la toute dernière scène, pleine de pudeur et de simplicité, clôt magnifiquement ce très joli film.

Source : AP