Du rock des années 90 ne germèrent pas plus d'une poignée d'authentiques génies. Beck, Nirvana, Radiohead. What else ? Björk. Ses productions de jeunesse, avec les Sugarbabes notamment ne présentent que trop peu d'intérêt au vu des orientations artistiques de sa carrière solo ; passons outre donc.
Personnalité dérivative par excellence, l'islandaise définit avec Debut un style batard assumé, à cheval entre la folie douce d'une dream-pop en déclin (l'exotisme de Venus as a Boy, et en fait la distanciation du son tout au long de l'album en offrent les échos les plus évidents) et les relents post-punk de morceaux moins accessibles ; propension à l'entre-deux venue s'immiscer jusque dans les titres de ses chansons : Big Time Sensuality, Violently Happy et qui sait, peut-être même Human Behavior. D'un point de vue sonique, l'embrassade d'une tripotée de genres à l'époque très présents, le four-to-the-floor hérité de la dance music en tête, esquissaient déjà les atours d'un trip-hop tel qu'on le définit aujourd'hui. Comme la majorité des albums progressifs Debut a mal encaissé l'âge et sonne aujourd'hui aussi daté que le premier Massive Attack, qui me semble constituer l'enregistrement d'époque le plus proche dans l'esprit ; il apparaît ainsi préférable d'aborder l'artiste via son second album, Post.
Les sonorités industrielles d'Army of Me ouvrent l'album, rapidement transformé en showroom en 11 pièces des intentions futures de Björk : des caisses lourdes et des riffs électroniques de l'opener on passe aux sonorités d'abord sourdes et duveteuses puis rythmées et futuristes d'Hyper-ballad, première véritable escapade IDM de la virtuose qui s'achève en decrescendo sur une ligne de violon. Les troisième et cinquième morceaux, encadrant le cultissime It's oh so quiet, imagent l'une des formules que Björk maitrise profondément : un son brut invitant à l'expérimentation (là où d'autres se casseraient les dents en tentant l'épuré), une voix comme surhumaine et un impact émotionnel décuplé par une rythmique aux antipodes des pistes qui leur succèdent. L'architecture musicale est un art que l'islandaise pratique en effet de manière exemplaire, parvenant à disposer à l'idéal le calme et le mouvementé sur ses disques ; l'interlude déguisée You've Been Flirting Again en reste l'un des exemples les plus éloquents. Le coeur de l'album– l'anthème Isobel qui lui exploite les cordes pour grimper haut, si haut qu'il flirte rapidement avec l'aérien / Possibly Maybe, un monument de trip-hop éthéré que je soupçonne Tricky d'avoir orchestré –s'en trouve légèrement excentré, venant comme suggérer une structure à l'ancienne en deux parties. L'album fond ensuite au gris, d'abord lancé par I Miss You, un espèce de mix house/drum&bass étrangement érotique peut-être préliminaire à Cover Me/Headphones, la conclusion-pilier abstraite de Post, blafarde et organique, presque liquide dans sa première partie (“While I crawl into the unknown, cover me / I'm going, hunting for mysteries, cover me / I'm going to prove the impossible really exists”), révélant le visage sexuel d'une Björk qui crie, souffle et chuchotte, irriguée d'une énergie contenue qui sera libérée six ans plus tard sur Vespertine.