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Le monde d’Hubert

Par Frédéric Romano
Mon père : Chouchou ?
Ma mère : Oui mon amour ?
Mon père : Tu sais que je n’ai encore rien bu ?
Ma mère (en se levant, agassée) : Rooooh ! Macho va !

Hubert a trente-huit ans, il est marié, père d’un petit garçon de huit ans. Hubert a bien réussi dans la vie, il est heureux. Hubert est fonctionnaire nommé, il a sa maison, il cotise pour sa pension. Hubert a une vie parfaite, il en est convaincu.

Quand il était enfant, son père lui répétait sans cesse que c’était à force de travail qu’on obtenait la reconnaissance. Lui-même était employé dans une “régie” à l’époque ou les telecoms n’étaient pas encore une histoire de gros sous. Bien vu de tous, il s’affichait auprès de sa famille et de ses amis comme un travailleur respectable, forçant le respect et arborant fièrement les principes de bonne morale. En réalité, son travail était le plus souvent bouclé en quelques journées et il passait le reste de la semaine à peaufiner ses techniques de bridge. Mais qu’importe, l’image qu’il donnait à Hubert était celle d’un homme droit pour lequel il ne pouvait avoir que de l’admiration. “Un jour je serai comme papa !“. Il ne croyait pas si bien dire…

C’est dans ce mythe qu’Hubert a grandi. C’est aussi dans cette illusion qu’il a très rapidement défini sa ligne de conduite : faire le minimum pour un maximum de gain. Voici un principe fort alléchant qu’il n’a eu aucun mal à appliquer. Apprendre à lire est important, certes, mais uniquement pour traiter avec l’administration et pour signer un contrat. Apprendre à compter est essentiel, mais surtout si l’on s’en sert pour réaliser quelques économies, toujours à son profit personnel bien entendu. Pourquoi perdre son temps à l’école alors que ces bases sont acquises dès l’âge de seize ans ? C’est une question essentielle et évidente pour Hubert, tant dans sa formulation que dans sa réponse.

C’est sur ces bases que sa “petite entreprise” progressa et, très vite, la question de l’association se posa. Vivre à deux c’est augmenter les gains. Hubert se mit donc en quête de trouver sa moitié. Il la rencontra un jeudi, la revoyait samedi à dix-huit heures trente, l’embrassait à vingt heure quinze, trente minutes avant le prime time du samedi soir… quel heureux hasard !

Puis vint le temps des grands projets et des grandes décisions. Vivons heureux, vivons dangereusement. Ils décidèrent d’acheter un terrain, tout ce qu’il y a de plus carré, pour y construire une maison, tout ce qu’il y a de plus cubique. Une villa belgo-belge, wallono-flamande, quatre murs avec des fenêtres et une porte, un toit et un garage, un jardin grand comme un timbre-poste et tout autour une clôture. Le bonheur appellant le bonheur, l’heureux évènement arriva quelques années plus tard : ”Nous avons le bonheur de vous annoncer la naissance de Nicolas“. Bravo Nicolas, tu es tellement bien tombé ! Tu as beaucoup de chance.

Voilà donc Hubert aujourd’hui à trente-huit ans, marié, père d’un enfant et propriétaire comblé d’une maison préfabriquée. Sa vie est un peu terminée mais il n’en est pas conscient, trop occupé qu’il est d’entretenir ses deux mètres carrés de pelouse. Parfois il amène sa famille quelques jours au soleil, dans un centre touristique en Turquie, all inclusive, toboggans et bar dans la piscine. Un autre rêve réalisé.

Il y a quelques années, il s’accordait encore de temps en temps une heure ou deux au comptoir d’un bistrot où il clamait haut et fort devant ses compagnons d’infortune la précarité de sa situation. “Quarante pourcents ! On nous enlève quarante pourcents de notre salaire !“. Il aimait cette ambiance de café-commerce, il aimait les “hooo” et les “haaa” qui ponctuaient ses élans, il se gonflait des “Ben c’est bin vré !” ou des “Hubert ! Président !“. Il se sentait encore l’âme d’un conquérant, la force d’un leader suivi de centaines de soldats. Mais tout ça c’était il y a quelques années. Depuis les choses ont changées. Il y a Nicolas, il y a la famille, il y a Madame qui fait des crises, jalouse et possessive. Alors Hubert se console et s’évade au fonds de son jardin, alongé, une bière en main et quelques apericubes posés sur la cuisse. Parfois il regarde le ciel et réfléchi mais très rapidement il s’endors et puis oublie.


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