De nombreuses études ont été dédiées à l'histoire de La Nouvelle Revue Française1 et, à l'occasion de son centenaire, un colloque lui a été consacré à la Bibliothèque nationale le 6 février. La revue elle-même commémore l'événement à sa manière. Elle se tourne d'abord vers son passé, non en se racontant - il faudrait plusieurs livraisons - mais en reprenant des documents écrits principalement par ceux qui la dirigèrent. Ce sont des fragments d'une histoire riche en péripéties. Par exemple Jacques Rivière, après une conférence à Genève en 1918 (texte repris ici), ouvre un numéro, en 1919, par un manifeste dont la publication faillit faire disparaître la revue ; Gide marque son opposition en écrivant dans un quotidien que La Nouvelle Revue Française n'est " l'organe ni d'un parti ni d'une école ". C'était là une véritable profession de foi, déjà affirmée au moment de la fondation. En effet, un premier numéro sorti le 15 novembre 1908 et dirigé par Eugène Montfort, fut rejeté par une partie des fondateurs : un article refusait Mallarmé et encensait Gabriele d'Annunzio. Le "vrai" premier numéro, préparé cette fois par Jean Schlumberger, Jacques Copeau, André Ruyters, est daté du 1 er février 1919. Gide, l'un des plus forts soutiens de la revue, notera qu' " aucun credo ne régnait parmi nous ; mais un égal amour de l'art, et, je puis dire, un égal désintéressement ".
Cette ouverture de La Nouvelle Revue Française n'empêcha pas des prises de position parfois violentes, mais pas unanimes, contre l'avant-garde littéraire après la Première Guerre mondiale. Jean Schlumberger rejetait le dadaïsme et Henri Ghéon parla même du " caractère anarchisant de la revue " qui accueillait Breton et Aragon... Le même Schlumberger avait vite admis, comme il l'écrivit plus tard, que la revue avait pour rôle de rentrer " dans le jeu de son époque ". En effet, si l'on s'en tient à la seule poésie, elle a notamment accueilli à ses débuts Claudel, Valéry, André Suarès, Saint-John Perse (encore sous le nom d'Alexis Léger), mais aussi très vite Breton, Aragon, Eluard, Cocteau, Artaud, Rilke, etc. Il suffit de lire les sommaires pour comprendre que La Nouvelle Revue Française a été dans l'entre-deux guerres un lieu ouvert et de création ; au hasard : à la fin de cette période la livraison du 1 er mai 1939 salue dans une des chroniques, sous la plume de Jacques Mercanton, la publication de Finnegan's Wake de James Joyce. Cette curiosité à l'égard des formes nouvelles devait beaucoup à Jean Paulhan, mais aussi à Gaston Gallimard : un "comptoir d'édition" s'était ouvert en 1911, devenu ensuite la Librairie Gallimard-Éditions de la Nouvelle Revue Française. La revue, qui réserve dès l'origine une part importante à la critique, diffuse plus de 10.000 exemplaires dans les années 1930, le double dans les années 1950. Pourquoi un tel succès ? Pour Dominique Aury, " Qu'est-ce qui mobilise ceux qui font les revues, comme d'ailleurs ceux qui les lisent ? [...] la littérature à l'état naissant ". Sans doute aussi que, dans la revue, " on a le droit de tout dire ", selon le mot de Georges Lambrichs rapporté par son successeur Jacques Réda à la direction de la revue. Le même Jacques Réda a constaté " la désaffection des écrivains pour les revues, bien plus préoccupante que celle des lecteurs. Puis celle des écrivains pour les livres de leurs confrères. [...] Les plombs ont sauté quelque part dans les années soixante ". Constat terrible, sans doute, mais il faut " faire comme s'il n'y avait pas de panne - maintenir des bougies allumées ".
Un second ensemble de cette livraison du centenaire tendrait à prouver que les électriciens sont à l'œuvre pour rétablir le courant. Il est constitué de dialogues par-dessus le temps : un écrivain d'aujourd'hui "répond" à un article publié dans la revue par un écrivain d'hier. Ainsi, Yannick Haenel part des réflexions d'André Breton, en juin 1920, à propos des Chants de Maldoror, pour montrer que les expériences de Lautréamont " n'appartiennent pas qu'au xix e siècle, n'appartiennent à aucune époque, sont toujoursen avant ". Pour la poésie, les dialogues imaginaires associent Paul Claudel et Muriel Barbery, Michel Leiris et Vincent Delecroix, Ponge et Joy Sorman - mais la relation de Mathieu Terence à Paulhan sur le style, celle de Mathieu Larnaudie à Robbe-Grillet, de Philippe Forest à Saint-Exupéry (écrivain trop négligé aujourd'hui !), d'Oliver Rohe à Sartre - à propos de son article sur Le Bruit et la fureur -, etc., sont également rassurantes quant à une possible "relève".
L'" esprit NRF ", fait de curiosité et d'exigence, a été reconnu au-delà des frontières hexagonales, et la revue a toujours accueilli les écrivains de tous les pays. Michel Braudeau, l'actuel rédacteur en chef, a réuni trois témoignages concernant l'audience de La NRF : celui de l'Italien Gian Mario Villalta, du Roumain Norman Manea et du Péruvien Mario Vargas Llosa, tous insistant sur le rôle essentiel que la revue avait eu pour eux, guide et repère. Ce rôle de magistère s'est en grande partie perdu, " phénomène qui n'est évidemment pas propre à la France ", comme le souligne Mario Vargas Llosa. On regrettera avec lui que cette perte " n'est que l'une des multiples origines de la confusion culturelle où nous pataugeons maintenant entre les idées et les valeurs ". Cela ne signifie pas pour lui la mort des revues, dont le rôle est peut-être de s'ouvrir, comme le fait La NRF en France, aux littératures étrangères, assumant alors un rôle " essentiel : celui du passeur ".
La Nouvelle Revue Française
" Le siècle de la NRF",
février 2009, n° 588, 19, 50 €.