Un jeune homme, ramassant des détritus dans une campagne sinistre, les rapporte dans la caravane délabrée où il vit : marginal, clochard, métèque. Par on ne sait quel miracle, ces détritus se retrouvent dans des tableaux composites accrochés aux cimaises d’une galerie chic. Le jeune homme reçoit une liasse de dollars et s’envole pour Paris, où il jouit de la vie à la terrasse d’un café. Plus cucul, tu meurs ! On se perd un peu dans la caricature de caricature que nous propose Jimmie Durham dans ce petit film très chic, titré donc The pursuit of happiness (2002, film 35mm, courtoisie de Pury & Luxembourg, Zurich), droit constitutionnel américain, où Anri Sala, les cheveux teints en noir, joue les faire-valoir. Se moque-t-il de lui ? de nous ? La critique du système est un peu trop grosse, on voit trop la ficelle, et c’est sans doute voulu.
Heureusement, le reste de l’exposition
Pierres rejetées au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (jusqu’au 12 avril) est d’une autre tenue. On peut certes aborder Durham par le discours militant, par l’indianité, par le refus de la consommation : moi, c’est son rapport aux objets qui m’intéresse. Son rapport aux pierres d’abord, à leur forme, leur permanence, leur utilité, construction ou lapidation. Il dit là sa défiance de l’architecture, sa volonté de
voir dans les pierres des outils et non des monuments. La relique du réfrigérateur (St Frigo) lapidé, blessé de dizaines d’impact est là, souvenir d’une performance (
Stoning the refrigerator, performance 1996 au FRAC Champagne Ardennes, © MC/DGA, Lisbonne), mémoire d’un geste, évocation d’un martyre tout autant que symbole anticonsumériste ou écologiste. Mais l’avion de tourisme écrasé sous un énorme bloc est l’image qui reste, l’annonce de l’exposition, l’icône de la vengeance du ciel contre les hommes : peu importent les symboliques variées (11 septembre, surveillance, chasse), l’image seule compte ici, et les rêves qu’elle induira en vous (
Encore tranquillité, 2008).
Le jour du vernissage, Jimmie Durham se saisit d’une pierre provenant (mythe ou histoire ?) de la maison de François Villon, ce rebelle impertinent et la projette sur une vitrine vide; à la troisième tentative, le verre éclate, la pierre repose là au milieu des éclats (
A Stone from François Villon’s House in Paris, 1996/2009). Il y a chez Durham un sens de la matérialité qui paraît si simple, si aisé, que la tentation d’évoquer le bon sauvage doit être évitée. Sa fantaisie
irrespectueuse se donne libre cours dans deux petites vitrines très muséales de pierres alimentaires, pseudo aliments pétrifiés. C’est drôle, léger, même si l’argument est ténu (
The Dangers of Petrification I, 2007).
L’arbre est un des grands fétiches de l’artiste, arbre totem, arbre histoire. Labyrinth montre un arbre foudroyé, découpé, blessé, meurtri de traces de balles, griffé de graffiti. Toujours ce respect de l’objet, cette intervention minime de l’artiste qui se contente d’exposer ce qu’il a vu, puis de se l’approprier en tirant dessus à son tour, en écrivant sur ses planches, en le peignant en rose.
L’arbre découpé sert à faire des barquettes pour fraises à
Palos de la Frontera (2003) et cette cagette sur réchaud est posée sur un socle où sa description dans le moindre détail et l’histoire de sa fabrication occupent quatre pages, déclinées en vingt langues. Des mots pour parler du travail des hommes, c’est peut-être ce travail sur le langage qui est l’élément le plus dense du travail multiforme et énigmatique de Jimmie Durham.
Photos 1&2 courtoisie du MAMVP; autres photos de l’auteur.