Nicolas Sarkozy est assurément un homme décomplexé. Le choix officieux de François Pérol, un très proche du Président, à la tête du nouveau groupe bancaire français issu de la fusion des Caisses d’Epargne et des Banques Populaires s’inscrit dans une longue liste de nominations dans laquelle l’éthique, la morale et la notion de conflit d’intérêt sont les grands oubliés. Après avoir été dévoilée par la presse, la nomination vraisemblable de l’actuel secrétaire général de l’Elysée suscite une levée de boucliers au PS et au Modem. Mais pas seulement.
A l’origine avec Le Point de la révélation, Médiapart discerne dans la promotion de l’un des principaux collaborateurs du chef de l’Etat à la tête de ce qui est appelé à constituer le deuxième groupe bancaire Français, une nomination choquante au plan éthique, contraire aux dispositions du code de la fonction publique, et aux dispositions du code pénal. Une analyse que partage pleinement François Bayrou.
“Tous les textes, à la fois de déontologie et du code pénal, indiquent qu’il est interdit à une personne ayant exercé l’autorité publique sur une entreprise privée, qu’elle soit fonctionnaire ou agent temporaire, d’exercer quelque fonction que ce soit dans cette entreprise avant un délai de trois ans révolus”, a déclaré hier à l’AFP le président du Modem. “M. Pérol a joué un rôle actif dans le dossier (…) jusqu’à convoquer jeudi dernier les dirigeants des deux entités dans son bureau” à l’Elysée, “il est donc impossible, interdit et illégal que cette nomination soit confirmée”. “Au demeurant, cela signifie que Nicolas Sarkozy et ses proches reprennent au plus haut degré les pires habitudes de mélange entre l’Etat, le pouvoir et ses clans et le monde économique. Cela ne peut être accepté”, a pointé le député des Pyrénées-Atlantiques.
Même ligne d’attaque du côté de la rue de Solferino. Benoît Hamon, porte-parole du PS, a stigmatisé hier sur Radio J la nomination putative de François Pérol. “Ça participe d’une stratégie où le président de la République entend aussi asseoir une partie de son influence dans les milieux économiques, par oligarques interposés ou par la volonté de placer untel ou untel”. “Moi je fais la différence entre les intérêts de l’Etat et les intérêts de M. Sarkozy”, avant de nuancer quelque peu : “Je pense que M. Pérol est au moins autant un proche de M. Sarkozy qu’un défenseur des intérêts de l’Etat”.
Médiapart avance que la nomination de François Pérol, si elle est confirmée, serait contraire aux dispositions du code de la fonction publique, et notamment aux dispositions prévues par la commission de déontologie, et contraire aussi aux dispositions du code pénal. Selon le site internet d’Edwy Plenel, “dans le passé, François Pérol, selon de très bonnes sources, a déjà commis des manquements vis-à-vis de décisions le concernant de cette même commission de déontologie“. Juridiquement, la nomination de François Pérol doit, en effet, recueillir l’avis favorable de la commission de déontologie de la fonction publique.
François Pérol appartient à cette catégorie de hauts fonctionnaires brillants qui font la navette entre le privé et le public mettant respectivement leurs relations et carnets d’adresse au service des uns et des autres. Ancien membre de la direction du Trésor, il devient directeur adjoint du cabinet de Francis Mer, ministre de l’économie, en 2002. Il occupe cette même fonction, en 2004, quand Nicolas Sarkozy arrive à Bercy et devient son intime. En 2005 il rejoint la banque d’affaires Rothschild & Cie, en qualité d’associé gérant, mais suite à l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la république, il le rejoint à l’Elysée comme secrétaire général adjoint spécifiquement en charge des dossiers économiques. A ce titre il a personnellement piloté le dossier de la fusion des Caisses d’épargne et des Banques populaires en l’imposant au nom de l’Etat à ces dernières.
Fin connaisseur de ces arcanes subtiles, le très modéré et respecté sénateur centriste Jean Arthuis, président de la Commission des Finances de la Haute Assemblée, est sorti de sa réserve pour estimer dans un entretien publié lundi par Aujourd’hui en France/Le Parisien que “l’éventuelle nomination” de François Pérol serait “choquante”. “Je ne crois pas que François Pérol puisse être nommé à la tête de cette nouvelle entité. Tout simplement parce que les règles déontologiques ne l’autorisent pas”. Le sénateur de la Mayenne rappelle que ces règles “proscrivent aux responsables d’une administration qui ont eu à connaître très directement d’un dossier d’être nommés à la tête de l’entreprise au coeur de ce dossier”. “Or c’est le cas de François Pérol”.
Pas très habile pour les uns, illégale pour les autres, la nomination de François Pérol tend surtout à occulter l’erreur politique initiale qui a résidé à ne pas conditionner les aides financières de l’Etat aux banques à l’octroi de sièges dans les conseils d’administration. Au-delà, lorsqu’elle est reliée à d’autres nominations, elle dessine un pouvoir qui parle de moralité mais ne se l’applique pas.
Le 15 janvier dernier, rares sont ceux qui ont toussé et évoqué un éventuel conflit d’intérêt, quand Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM) a hérité du poste de secrétaire d’Etat à l’économie numérique. Et pourtant, son frère Pierre est le créateur et patron du site de vente en ligne Price Minister et l’animateur de l’association de l’économique numérique (Acsel), le lobby des entreprises de ce secteur. Avant, comme le rappel un excellent article de Médiapart, il y eut la désignation de Christine Ockrent à la tête de l’audiovisuel public extérieur alors que son compagnon, Bernard Kouchner, est le chef de la diplomatie française, mais également la nomination de Marin Karmitz l’un des plus gros producteurs français au Conseil pour la création artistique et enfin,la désignation de Yazid Sabeg, comme haut-commissaire à l’intégration, alors que l’intéressé est PDG d’une société qui fait une part substantielle de son chiffre d’affaires avec l’Etat.