Comment étudier le rapport de la population âgée à la télévision se demande Vincent Caradec dans son article de 2003 « La télévision, analyseur du vieillissement » dans la revue Réseaux ?
Deux possibilités s'offrent au chercheur : la première, non retenue par Caradec consiste à considérer le groupe d'âge des « personnes âgées » et d'analyser - et la manière dont la télévision est regardée par ce groupe d'âge. Une autre perspective est retenue l'auteur, il s'agit ici d'étudier le rapport à la télévision dans une perspective diachronique, c'est-à-dire de le saisir en tant que processus révélateur du processus de vieillissement. Il s'agit de prendre la télévision comme un moyen d'obtenir une meilleure connaissance du processus de vieillissement, comme on aurait pu analyser les pratiques alimentaires ou linguistiques pour avoir une meilleure connaissance du processus d'intégration à la société des migrants.
Voyons donc ce que la télévision révèle du processus de vieillissement.
Augmentation de la durée d'écoute
Les enquêtes quantitatives montrent que la durée d'écoute de la télévision s'accroît au moment de la retraite. Cette augmentation de l'écoute résulte d'une « réorganisation temporelle » qui s'opère lors de la retraite : les nouveaux retraités commencent de nouvelles activités, abandonnent ou modifient celles qu'ils effectuaient auparavant. Les retraités apprêtent un nouveau rythme afin de combler le temps libéré par l'arrêt de l'activité professionnelle. Dans cette réorganisation, la place faite à la télévision s'accroit : par exemple par une « légère dilatation du temps qui était auparavant consacré à la télévision »: allumée un peu plus tôt en soirée et éteinte un peu plus tard. Autre évolution constatée chez les retraités, l'augmentation récente du multiéquipement, avec l'achat d'un second poste pour éviter les dissensions au niveau du choix du programme, ou l'évolution de l'équipement avec l'achat d'un magnétoscope ou d'un lecteur dvd.
Diversité des pratiques d'écoute
Cependant, il ne faudrait pas croire que le passage à la retraite uniformise les pratiques culturelles des retraités et en particulier les pratiques télévisuelles. Les durées d'écoute sont très variables, notamment en fonction de la position sociale et les discours tenus sur la télévision par les retraités sont également contrastés.
Vincent Caradec différencie ceux qui veulent minimiser le fait qu'ils regardent un peu plus la télévision depuis la retraite et insistent sur leur volonté de ne pas trop la regarder alors que d'autres reconnaissent volontiers que la télévision est devenue leur passe-temps privilégié. Les premiers, qui font en sorte de ne pas trop la regarder sont plutôt les tenants d'un modèle « activiste » de la retraite selon les termes de l'auteur. « Regarder la télévision apparaît à leurs yeux comme une activité « passive », une distraction valable pour les personnes très âgées et invalides, mais qui ne saurait convenir à de jeunes retraités « actifs». » A l'opposé les retraités ceux qui accroissent leur pratique télévisuelle sans ressentir de culpabilité considèrent la retraite comme un droit au repos après une vie consacrée au travail.
Télévision et déprise
Pour Vincent Caradec qui est spécialisé dans la sociologie du vieillissement, la vieillesse se caractérise par une tendance au « désengagement » vis-à-vis d'activités effectuées auparavant, elle peut être étudiée de plusieurs manières : on peut examiner l'abandon progressif de l'usage de la voiture ou le rapport à la télévision.
Bien sûr, vous l'aurez compris, l'auteur qui nous préoccupe dans ce post, a plutôt choisi comme voie d'entrée la seconde option. En effet, il a noté que l'écoute de la télévision au cours des années de retraite présente une évolution remarquable : une expansion de l'écoute jusque vers quatre-vingt-cinq ans, suivie par une diminution de la pratique télévisuelle. Cette évolution peut être analysée comme le résultat de deux processus de déprise: « d'une part, une déprise par rapport aux activités extérieures, qui est favorable à une écoute accrue de la télévision, d'autre part, une déprise par rapport à la télévision elle-même. »
De sorte, qu'il faut tordre le cou à la représentation selon laquelle, la personne très âgée serait rivée à son poste de télévision. Se dessine au contraire aux âges élevés un mouvement inverse, de baisse de l'écoute de la télévision, en raison de la fatigue accrue et de certaines déficiences sensorielles « qui amènent à choisir avec soin les quelques moments qu'il est possible de lui consacrer. »
La télévision participe de la construction de soi
L'intérêt pour la télévision des personnes interrogées pour Vincent Caradec repose sur trois arguments majeurs. Parce que les médias sont un moyen de « s'informer » et de « rester au courant », ils détiennent une fonction de « lien social ». Ils permettent à la personne âgée de maintenir un lien avec le monde.
La télévision peut constituer pour certains « un moyen de perfectionnement et d'enrichissement de soi : elle est un lointain prolongement de l'école - avec laquelle la comparaison est quelquefois explicite - qui donne l'occasion d'« apprendre », de « s'instruire » et de « découvrir » ». L'émission Questions pour un champion est un moyen de vérifier ses connaissances.
Enfin, la télévision permet de regarder des « spectacles » (émissions de variétés, compétitions sportives, jeux télévisés, œuvres de fiction, reportages, émissions politiques, etc.), puis d'en parler avec ses proches, et ses amis.
Frédérique