Il semble intéressant de rapprocher cette situation du flou idéologique qui caractérise le PS depuis le virage de la rigueur de 1983.
Deux réflexions illustrent les conséquences de ce virage.
Jean-Pierre Le Goff, sociologue et philosophe, décrit dans son livre « La barbarie douce » le mouvement de modernisme qui a envahi les entreprises et l’école depuis quelques décennies. Le discours dominant est devenu celui de la nécessaire adaptation à un monde en mouvement, avec les notions d’autonomie du salarié et de l’élève, de transparence, de motivation, de responsabilisation, de droit à la réussite, etc.
Selon Le Goff, ce discours ne fait que masquer
Le Goff montre comment ce discours a été adopté par le PS depuis le milieu des années 1980, avec une gauche qui met en avant des valeurs (égalité des chances, solidarité, respect des différences, respect de l’individu, créativité de chacun…) à défaut de s’intéresser vraiment à la question de la répartition des richesses (à la base du socialisme, tout de même). De Fabius au programme présidentiel du PS en 2007, le discours n’a guère évolué.
Autre éclairage, assez convergent : l’Américain Walter Benn Michaels, professeur de littérature, expose dans Le Monde Diplomatique sa perception de l’évolution de la gauche française. Il se dit frappé par son appropriation, depuis les années 1980, de l’engagement pour la diversité, engagement notamment symbolisé par SOS Racisme. Il souligne que cet engagement, assez consensuel, permet de « désamorcer la question sociale en la reformulant en problème d’identité culturelle ». Il souligne à ce titre la forte proximité idéologique entre cette gauche (symbolisée selon lui par Laurent Joffrin), qu’il juge néolibérale, et la droite néolibérale (laquelle, avec Sarkozy, s’est d’ailleurs rapidement emparée du thème de la diversité en politique). Selon lui, la gauche française a donc glissé de la défense de l’égalité à celle de la diversité. Autre manière d’accepter les inégalités économiques générées par le libéralisme.
Au niveau local, il n’existe pour ainsi dire pas d’affrontement idéologique. Il est en effet frappant de constater la très forte convergence des discours politiques des régions, des départements et des intercommunalités, quelle que soit leur appartenance politique : partout, on célèbre la nécessité de la compétitivité associée à l’exigence de solidarité, l’objectif de développement des territoires tout en préservant leurs équilibres. Partout, dans n’importe quel projet local, on dit finalement plus ou moins la même chose.
Pourquoi cette quasi-absence de débat sur le fond ?
Pour les compétences à plus fort contenu idéologique (aide à l’emploi, transport collectif, aide sociale), l’action des collectivités locales se définit souvent comme protectrice face à un environnement hostile (la mondialisation, la crise financière), ou en réaction face à un Etat qui déstructure les territoires (fermeture des services publics) ou n’honore pas ses engagements (retards de paiements dans le cadre des contrats Etat-Région, ou insuffisantes compensations financières des compétences décentralisées).
Au niveau local, on répond aux attentes de la population, on gère au quotidien, on réagit face à l’extérieur, mais on ne propose aucune vision globale, aucun projet de société. En temps de crise, cette posture est évidemment payante électoralement pour un parti d’opposition.
Alors, le PS ne serait-il finalement devenu que l’antenne locale de l’UMP ? Les deux faces d’un même pouvoir qui accepte le modèle dominant du néolibéralisme. Mais attention, il ne faut pas le répéter, ça ferait le jeu des extrêmes.