Magazine Société

La réforme financière vue par Frédéric Lordon, suite...

Publié le 22 février 2009 par Edgar @edgarpoe
Après avoir résumé sobrement ses idées, quelques commentaires personnels...

Sur ses quatre principes :

1. Celui dont le rappel est le plus utile à mon sens est celui de subordination de la finance. Je le modèrerais cependant.

Il ne s'agit pas de subordonner la finance à "l'économie réelle", simplement de considérer que l'économie en général doit être régulée en fonction de finalités sociales.

Je n'adhère pas à l'idée que la finance serait moins noble que l'économie dite réelle : un banquier qui fait bien son travail est tout aussi utile à l'économie qu'un boucher, un producteur de voitures ou un centre d'appels...

2. Le constat que l'Europe est une zone approximativement autosuffisante en matière de financement est sans doute exact, nous pourrions fermer les frontières européennes à l'épargne étrangère, cela ne nous manquerait  pas.

Est-ce à dire pour autant que le bon niveau de réglementation en matière financière soit celui de l'Union européenne, comme Lordon le conclut ? Bien évidemment j'en doute.

La constitution d'un régulateur européen me semble surtout le prélude à une collusion Europe/Etats-Unis en matière de (non) régulation financière qui n'amènera rien de bon. Surtout que le régulateur américain est déjà unifié et a simplement montré qu'un gros marché unifié sur lequel le régulateur s'endort permet de former de grosses bulles.

Le régulateur unique européen aura inévitablement ses défaillances, on aura donc des bulles financières à taille européenne au lieu d'avoir des bulles de taille variable en fonction des spécificités ses systèmes financiers nationaux (crédit hypothécaire développé ou pas etc...) C'est sans doute l'absence d'unification des marchés financiers européens qui a limité la crise dans plusieurs pays européens et, en moyenne, dans l'Union. En un sens, les propositions de Lordon, si elles étaient appliquées, rendraient la prochaine crise financièr plus douloureuse, pas moins.

Par ailleurs, ma principale non pas critique mais remarque, consiste à dire que la crise n'est pas qu'une crise financière. Les solutions que propose Lordon sont restreintes à ce domaine, ce qui est oublier qu'il y a de nombreux facteurs au départ de la crise actuelle :

- la répartition croissante de la valeur ajoutée en faveur des profits et au détriment des salaires,
- les déséquilibres financiers mondiaux, au premier rang desquels les déficits américains,
- un libre échange déloyal, reposant sur l'exploitation massive des travailleurs chinois,
- la retraite par capitalisation, notamment aux USA, qui oblige à la formation de marchés d'actions surdimensionnés,
- la rente pétrolière, qui génère une masse de capitaux inemployés qui viennent abonder les placements à vocation spéculative. Corrélativement à cela, l'insuffisant développement des énergies renouvelables...

Les facteurs de déséquilibres ne manquent donc pas et bien peu sont d'origine purement financière.


Sur ses propositions :

De façon générale, il me semble que ses propositions sont parfois redondantes et s'apparentent à l'adoption généralisée de ceintures et bretelles en matière financière. Par exemple, obliger les banques à former des réserves plus importantes par rapport à leurs engagements risqués (proposition 3) peut aller de pair avec une pondération plus importante pour les engagements transitant par des paradis fiscaux ou des zones non régulées, ce qui éviterait de créer une interdiction totale d'échanger avec ces zones (proposition 9).

Pour le double taux d'intérêt aux banques (proposition 8), ça me paraît une idée intéressante. Je ne sais si elle est plus ou moins réaliste qu'un retour à l'encadrement du crédit, qui prévalait en France jusqu'au milieu des années 80, mais c'est à creuser. C'est cependant à mon avis totalement illusoire au niveau européen. S'il s'agit de limiter les opérations spéculatives, la proposition 3 suffit. A ajouter des propositions dont l'application est complexe, Lordon risque de porter moins qu'avec des propositions plus ciblées mais moins nombreuses. La proposition 3 a l'avantage de faire jouer un mécanisme prudentiel qui existe déjà, en ce sens elle est meilleure que d'autres.

La restriction des bonus des traders, avec l'introduction de bonus négatifs, me paraît une idée un peu gadget.

D'une part, elle est un peu démagogique et donne l'idée que quelques individus ont mis en danger un système qui serait sain par ailleurs. Tous les déséquilibres cités ci-dessus, qui contribuent largement à expliquer la crise économique et financière, expliquent bien plus ce qui se passe que l'action des salles de marché. Les traders ne sont pas tout seuls, ils répondent à l'appât du gain d'actionnaires et de dirigeants toujours plus voraces. Pourquoi les punir eux et pas les dirigeants gavés de stock options ?

D'autre part, je ne vois pas bien cela passer au niveau européen (ni français d'ailleurs). C'est une question de réalisme, dont Lordon fait preuve par exemple lorsqu'il explique qu'il ne faut pas complètement interdire la titrisation, mais la limiter : s'il faut garder les pieds sur la terre telle qu'elle est aujourd'hui, taper fortement sur les traders pour épargner la titrisation et autres excès me paraît relever d'une logique de bouc émissaire.

La restriction de la titrisation et l'interdiction de transactions sur produits dérivés de gré à gré, entre entreprises bancaires et non bancaires me paraissent relever d'une même logique : c'est aux banques de gérer le risque, elles ne doivent pas se défausser sur "les marchés" pour cela. Les acteurs non-banques n'ont pas, corrélativement, à effectuer des opérations financières complexes (swaps de taux d'intérêts etc..) C'est ce principe qui devrait être mis en évidence plus fortement.

Pour conclure trop brièvement, je dirais que ces propositions sont encore insuffisamment affinées. Le fait que Lordon prétende les réserver à une zone européenne, en une sorte de pendant à un protectionnisme européen à la Todd, me paraît surtout  relever d'une échapattoire. Je crois que des mesures plus claires, moins nombreuses, seraient susceptiles d'une adoption internationale, beaucoup plus intréessante que la bunkérisation européenne qui nous est, là encore, proposée.

Par exemple, trois principes :

1. les opérations bancaires et financières sont le monopole des banques, qui ont vocation à être toutes régulées, quel que soit leur emplacement (un rappel du métier),

2. les risques pris par les banques dans leurs opérations bancaires et financières devront être d'autant plus provisionnés par lesdites banques qu'ils seront encourus avec des acteurs et contreparties appartenant à des zones non régulées (des conditions durcies sur des bases déjà en place).

3. Dans l'adoption de standards internationaux, ce sont les standards nationaux les plus stricts qui serviront de point de départ. En l'absence d'adoption de règles internationales, les pays adoptant des réglementations nationales plus sévères auront le droit de préserver leurs banques d'acquisitions hostiles. Pas question de donner une prime aux états les moins exigeants (un principe d'équilibre entre l'intérêt d'une mondialisation et la préservation de standards nationaux exigeants).


D'une façon générale, je crois que la régulation économique internationale a intérêt à préserver un idéal de libre-échange. Ce qu'il faut faire de différent par rapport à la tendance actuelle c'est renforcer les clauses -valables pour tous - qui permettent la préservation des systèmes nationaux dans lesquels le principe de libre échange est concilié avec des règles prudentielles (et sociales) plus fortes. En matière commerciale, cela devrait conduire à l'adoption d'une taxe de libre-échange, j'y reviendrai plus tard...



 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Edgar 4429 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine