Une page s’ouvre et c’est l’univers de Charlotte qui s’étend, l’univers de sa mort. Sa parole nous arrive d’outre-tombe puisqu’elle est déjà morte, suicidée.
L’auteur raconte comment elle s’est suicidée. Le premier chapitre se referme, le second s’ouvre et un univers parallèle se met en place : l’histoire d’un autre suicide mais de la même personne, Charlotte.
L’auteur lui parle, elle lui répond. L’auteur lui donne voix. Il luit dit comment elle s’est suicidée, elle lui répond comment elle en est venue à cesser de vivre. Les facette de sa mort sont démultipliées, nous entrons dans un étrange labyrinthe couvert de glaces aux reflets posthumes.
Le lacrimosa est une partie du requiem, la messe des morts. C’est le jour du jugement , des stances finales du récit apocalyptique latin au cœur du requiem. Regis Jauffret dépose, avec cette œuvre, une plainte, un véritable lacrimosa, une larme qu’il taille dans la pierre de ses mots.
Plusieurs versions du suicide vont se succéder. L’histoire est réelle, l’auteur a appris le suicide d’une amie en mars 2007, alors qu’il recevait le prix France Culture-Télérama pour son livre Microfictions.
Ces mots dans ce livre font revivre, rendent hommage. Mais la frontière est bien là, celle de la mort, inébranlable. L’auteur, dans tout son désespoir, a beau donner toutes les versions, faire parler la morte, se tuer lui-même en tant qu’auteur, cela ne fait pas revivre la suicidée.
Ce livre nous laisse un goût de mort, un goût d’intense tristesse. L’auteur a dit à propos de son œuvre : Charlotte s’est pendue. Elle a fini dans un poème, je finis dans un roman.
C’est ainsi. Les mots font vivre mais il restent figés à jamais, pétrifiés dans l’œuvre même de l’auteur qui du coup prend une allure misanthrope: puisqu’elle est morte, pourquoi aimer le vivant à présent ?
**Lacrimosa de Regis Jauffret
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