Il y a quelques jours, Gabrielle a pris contact avec le chef de service d'une maternité située à proximité de Grenoble. L'objet de son appel était basique : savoir si, sur le principe, un médecin serait prêt à accompagner un AVA2C. Après quelques questions concernant son dossier médical, notamment les motifs des deux césariennes, le médecin a livré une réponse encourageante qu'il a immédiatement tempérée. Oui, il serait d'accord pour laisser le travail se faire naturellement. Non, il ne pourrait pas garantir qu'il en soit ainsi si d'aventure il devait être absent lors de l'accouchement. « J'ai 17 obstétriciens dans mon service. Et si je ne suis pas là quand vous accouchez, je sais très bien ce que la plupart d'entre eux va dire en vous voyant arriver : je ne vais pas m'emmerder. »
Dans ces conditions, difficile d'envisager accoucher là-bas. C'est tout le paradoxe de notre situation. Dans notre souci de laisser faire la nature, nous refusons de programmer quoi que ce soit pour la naissance de notre enfant - ni césarienne, ni déclenchement. Et c'est justement cette imprévisibilité qui rend notre quête d'une équipe respectueuse si ardue. Nous voudrions pouvoir nous dire avec certitude : c'est là que notre enfant va naître, nos choix y seront respectés, et nous pourrons nous consacrer exclusivement à l'accueil de notre enfant sans craindre un geste inconsidéré de l'équipe médicale. Mais c'est impossible aujourd'hui et nous prenons conscience que cela risque de perdurer jusqu'à l'accouchement. Ça n'a rien de confortable, ça nous fait peur, mais c'est comme ça. Dans notre désir de voir cette naissance échapper à la toute-puissance des médecins et à l'excès de technologie, nous devons accepter, nous aussi, de ne pas pouvoir tout contrôler.
Au mieux pouvons nous mettre le plus de chances de notre côté. C'est ce que nous suggère A. lorsque nous lui parlons de notre expérience désastreuse avec le Dr K. et de notre décision d'abandonner toute idée de faire naître notre enfant à Briançon. D'après elle, même si cette confrontation a été particulièrement douloureuse, il ne faut pas faire une croix sur cette maternité. Après tout, le Dr G. n'était pas opposée à cet AVA2C, et il nous reste un dernier gynécologue à rencontrer et rien ne dit que le dernier gynécologue qu'il nous reste à rencontrer sera du même avis que son dictateur de collègue. S'il accueille notre demande favorablement, il nous restera à revoir un membre de l'équipe des sages-femmes pour nous assurer que, le jour de l'accouchement, nous pourrons être renseignés sur l'obstétricien qui est de garde. C'est du moins comme cela qu'A. voit les choses.
Lorsque nous la quittons, Gabrielle et moi restons silencieux un bon moment dans la voiture. Et nous le savons l'un comme l'autre, ce ne sont pas seulement les effets relaxants de la séance de préparation à l'accouchement que nous venons de vivre qui nous rendent si peu volubiles. Nous doutons. Les arguments de notre sage-femme rebondissent dans nos têtes et se cognent aux souvenirs de notre dernière visite à l'hôpital de Briançon. Nous savons qu'A. a raison, qu'il vaut mieux multiplier les possibles... mais remettre les pieds dans cet établissement, c'est aussi risquer de s'exposer à nouveau à la violence que nous y avons reçu. Pour Gabrielle plus encore que pour moi, cette perspective est douloureuse. Son angoisse est palpable. Je propose de me présenter seul à ce nouveau rendez-vous et nous imaginons ensemble le discours que je pourrais tenir : « Docteur, ma compagne est restée en bas pour ne pas exposer sa sensibilité de femme enceinte. Je vous teste d'abord, et si tout va bien je l'appelle pour qu'elle monte... » Nous rions. Pour le plaisir bien sûr... pour conjurer nos peurs, un peu, aussi. Et ce rire nous réconforte, nous rassure. C'est une pause, une nouvelle respiration que nous partageons avant de reprendre notre odyssée, animés d'un nouveau souffle.