Je n’avais absolument pas pas prévu de parler d’un tel sujet aujourd’hui mais j’ai été profondément ému et choqué par cette histoire lue dans le Monde de samedi.
On a largement parlé du scandale d’Outreau, mais à nouveau on est conduit à se poser des questions sur la justice. Comment une simple dénonciation d’une voisine de camping haineuse peut conduire une famille, déjà amplement touchée par le malheur, à une telle catastrophe ?
Y’avait il un juge d’instruction ? A défaut qui est responsable d’un scandale pareil ? En lisant une telle histoire j’ai honte, pour mon pays et pour la justice de mon pays
David Dornbusch
“Sabrina Clövers, une Allemande âgée de 20 ans, dénonce aujourd’hui les malentendus qui ont conduit ses parents en prison en France. A la suite d’un accrochage avec une voisine de camping à l’été 1996, son père, Rudolf Clövers, a été condamné l’année suivante à douze ans de réclusion criminelle et à la déchéance de ses droits parentaux par la cour d’assises de l’Hérault pour viols et tentative de viols sur ses enfants, Florian et Sabrina.
Leur mère Elke, condamnée à deux ans de prison pour complicité et non-assistance à personne en danger, a effectué quinze mois de détention. Le témoignage de Sabrina, dont les parents sont aujourd’hui divorcés, permet à Me Ralph Blindauer, avocat de M. Clövers, de saisir la commission de révision des condamnations pénales de la cour d’appel de Paris, au terme d’un parcours ahurissant.
Cet été 1996 devait être une douce parenthèse dans le quotidien plutôt sombre des Clövers, une famille allemande à la lourde histoire médicale. Avec Florian, 11 ans, et Sabrina, 8 ans, qui portent encore des couches et suçotent des tétines, les Clövers ne passent pas inaperçus lorsqu’ils plantent leur tente au camping du Castellas à Sète (Hérault) pour six semaines.
Outre des troubles cérébraux et des problèmes de coordination, Florian souffre d’épilepsie, d’énurésie et d’encoprésie primaire (défécation permanente). Son état de santé accapare les siens. Il se montre violent verbalement comme physiquement avec sa mère et sa petite soeur, sourde à 30 %.
Depuis la naissance de leurs enfants, les Clövers sont suivis en thérapie familiale au Kinder Zentrum München, un centre de pédiatrie social bavarois, mais leur vie n’a jamais été légère.
Né avec une atrophie optique, le père est affligé d’une affection de l’ouïe évolutive qui le contraint, depuis 1976, au port permanent de prothèses auditives. Alors qu’il s’est péniblement hissé à un poste de cadre commercial, il a été déclaré inapte au travail en 1993. Cette mise à la retraite forcée à 40 ans a déclenché un état dépressif, des problèmes d’alcool et d’obésité. Asthmatique, Elke est très ébranlée depuis ses grossesses difficiles.
Au camping, on regarde un peu en biais ces gens pas comme les autres. Même le chien de Madame V., une voisine de tente, semble avoir ses préventions. Il les manifeste en sautant sur Sabrina puis sur Elke. Excédé, Rudolf - qui sera hospitalisé le jour même pour une attaque cérébrale - formule des doléances à l’office du tourisme, le 22 août.
Le surlendemain soir, les époux Clövers sont interpellés. Mme V. a accusé Rudolf d’avoir “enfourché” Sabrina en pleurs “caleçon baissé”. Elke se serait, selon elle, postée devant la porte de la tente “pour masquer la scène”. Coïncidence ? Depuis plusieurs jours, les transistors et téléviseurs portables du camping comme ceux de l’Europe entière relaient les détails effroyables de l’affaire Marc Dutroux, le pédophile meurtrier belge.
En maillot de bain mouillé et vêtue d’un simple tee-shirt, Elke passe vingt-quatre heures en garde à vue, privée d’eau et de ses lunettes. En short et polo, Rudolf - qui ne recevra d’autres vêtements que quatre mois plus tard - demeure deux jours sans manger. Il se voit surtout refuser tout au long de la procédure, et jusqu’à son procès, ses indispensables prothèses auditives. Selon M. Clövers, le policier menace de lui “couper la queue”, et propose un marché à celui qu’il traite de “merde allemande” et de “sale cochon”. Si Rudolf, “malade de la tête”, reconnaît les faits, il ira dans un asile psychiatrique, tandis que la famille regagnera l’Allemagne.
M. Clövers refuse d’avouer ce qu’il n’a “pas fait”. Un interprète l’enjoint de signer la déposition qu’il ne comprend pas, sous peine “d’aggraver (son) cas”.
Terrorisés, les enfants ont été dirigés vers un hôpital. D’après les examens médicaux, l’hymen de Sabrina était intact, et Florian vierge de toute marque traumatique. Mais l’encoprésie dont souffre le garçon occasionne un élargissement du sphincter anal qui autorise toutes les interprétations.
Sabrina se souvient d’interrogatoires elliptiques ou inductifs par interprète interposé. On lui demande de “dire la vérité sur ce qui s’est passé pour que papa puisse se faire soigner”. Or, son père a été hospitalisé deux jours plus tôt… “J’ai fini par dire oui à tout pour avoir la paix, explique-t-elle, mon frère et moi, on ne comprenait rien et on avait peur.” Les transcriptions d’auditions de Florian sont elles aussi troublantes, avec leurs phrases à rallonge alors que, lourdement handicapé, il était incapable d’aligner plus de trois ou quatre mots.
Sabrina a vécu quatre ans dans une famille d’accueil française dont elle est repartie à l’âge de 12 ans en ayant oublié l’allemand. Florian, lui, avait rejoint un centre spécialisé. Leur mère n’a recouvré ses droits parentaux qu’après son divorce durant la détention du père.
Libéré en mai 2003, M. Clövers a subi les violences sexuelles réservées par le milieu carcéral aux pédophiles et fait des tentatives de suicide. Il est employé dans une entreprise de pompes funèbres en Allemagne. Sabrina est déterminée à lui rendre son honneur, “pour ne plus vivre avec ça”.”
Patricia Jolly