C'est l'argument de base de Michael Pollan, un journaliste américain aussi bon à trouver les infos qu'à les partager que Thomas Friedman (Hot, flat and crowded). (Pourquoi n'avons nous des gens comme ça en France - ou si nous les avons, où sont ils, et pourquoi ne les entendons nous pas ?)
En gros : "depuis que la tradition a cédé la place à la science et au marketing, nous ne sommes pas en meilleure santé. L’analyse de Pollan est décapante. La fréquence du diabète, des maladies cardiovasculaires et des cancers explose à tel point qu’aujourd’hui, la vocation première de la médecine est de conserver en vie ceux qui tombent malades à cause de l'alimentation industrielle. L’excellente nouvelle c’est que les ravages du nutritionnisme et de l’industrie agroalimentaire sont réversibles. Il est possible de manger à nouveau de vrais aliments, en consommant intelligemment."
Si vous comprenez l'anglais, et que vous avez une heure devant vous, écoutez Michael Pollan. Fascinant :
Vous pouvez aussi lire une interview de Michael Pollan plus bas, en français. Son dernier bouquin a été traduit en français (profitez-en), chez Amazon.
Michael Pollan : "Pourquoi les nutritionnistes se trompent"
Michael Pollan répond aux questions de Tara Parker-Pope sur le blog santé du New York Times Magazine au sujet de son livre In defense of food traduit en France par Thierry Souccar Éditions sous le titre Nutrition, mensonges et propagande. Dans ce livre, vous parlez de « nutritionnisme » cette tendance des scientifiques et des experts en nutrition à voir les aliments comme la simple somme de leurs éléments nutritifs. Qu’est-ce qui vous choque dans ce mode de pensée ? Deux choses ne vont pas dans ce que j’appelle le nutritionnisme. La première c’est que quelle que soit l'information scientifique publiée, elle est très rapidement déformée par les industriels et les publicitaires. Ils vont prendre une information partielle sur les antioxydants, et vous raconter que si vous mangez des amandes vous allez vivre indéfiniment. Il y a une déformation de ce qu’est une hypothèse scientifique. Nous, journalistes, sommes tout autant coupables. Nous prenons des éléments scientifiques sommaires, et nous en faisons de gros titres.L'autre chose qui m'a étonné, c’est la pauvreté des données qui sous-tendent un grand nombre de ces grosses études sur l’alimentation. Quand vous essayez de remplir un questionnaire de fréquence alimentaire, vous vous rendez vite compte que ces informations ne sont pas fiables. En le remplissant, j'ai été aussi honnête qu’il est possible de l’être et j’ai tenté de me rappeler ce que j'avais mangé et il en est ressorti que je mange 1200 calories par jour. C’est-à-dire au moins 1000 calories de moins que la réalité. Nous savons que les gens minimisent leur consommation d'environ 30 %. Nous ne savons rien de la chose la plus importante en nutrition, qui est : « Qu'est-ce que les gens mangent réellement ? » Il est difficile de construire de la bonne science là-dessus. Pensiez-vous que les 3 phrases « Mangez de vrais aliments. Juste ce qu’il faut. Surtout des végétaux. » allaient faire autant de bruit aux États-Unis ? J'ai été surpris. Après que ces phrases aient été publiées dans l’article du New York Times, j'ai commencé à en entendre parler. Je me suis rendu compte qu’elles avaient un certain pouvoir. C'est la raison pour laquelle j'ai encouragé l'éditeur à les faire figurer sur la couverture. Mais ce n'est pas aussi simple qu'il y paraît, n’est-ce pas ? Non, à cause de ces substances comestibles qui se travestissent pour ressembler à de la nourriture dans les rayons de supermarchés. Le conseil que je donne est simple à suivre à partir du moment où l’on sait ce qu’est un aliment, mais il m’a fallu 14 pages pour tenter de définir ce qu’est un aliment dans le livre. Cette définition est devenue compliquée à cause de la science de la nutrition et des technologies sophistiquées à la base des aliments transformés. À propos de technologie alimentaire, des aliments issus d'animaux clonés semblent destinés à être homologués en Europe et aux États-Unis. Est-ce que les aliments clonés sont de vrais aliments ? Je pense que la plus grande préoccupation avec les animaux clonés, ce n’est pas la santé. C’est les moyens à mettre en œuvre pour garder en vie des élevages de poulets, de cochons ou de chevaux génétiquement identiques. Le sexe et la variation, voilà ce qui fait que les microbes ne nous éliminent pas. Si tout un troupeau est génétiquement identique, une maladie peut l’éliminer tout entier. Il faudra tellement d’antibiotiques et de mesures sanitaires pour conserver ces troupeaux que le problème principal, ce devrait être la résistance aux antibiotiques. La communauté des nutritionnistes est fascinée par le French paradox – le fait que les Français mangent apparemment des aliments mauvais pour la santé, mais qu’ils ne grossissent pas et sont moins sujets que les Américains aux problèmes cardiovasculaires. Dans votre livre, vous décrivez un paradoxe américain. De quoi s’agit-il ? Les Américains sont un peuple obsédé par la nutrition mais dont la santé est médiocre. C’est ce que je considère comme un paradoxe. Nous nous inquiétons plus que les Français de la composition nutritionnelle des aliments et nous considérons l’alimentation uniquement sous son aspect santé. Pourtant, nous sommes les champions du monde de l'obésité, du diabète, des maladies cardiovasculaires et des cancers liés à l'alimentation. Je pense que c'est bizarre. Cela veut peut-être dire que se préoccuper de sa santé alimentaire n'est pas forcément bon pour sa santé. Alors, comment devons-nous penser la nourriture et la santé? Je pense que la santé doit être une conséquence du bien-manger, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la santé : faire la cuisine, les repas pris ensemble et la consommation de vrais aliments. Vous serez en bonne santé, mais ce n'est pas le but. L'objectif devrait juste être de bien manger pour le plaisir, pour la communauté, et toutes les autres raisons pour lesquelles les gens mangent. Ce que j’essaie de faire, c’est de donner le point de vue d’un extraterrestre sur la manière dont nous voyons les aliments en Amérique et dans d’autres pays développés. Nous avons trop tendance à voir dans les aliments soit la promotion de notre santé soit sa ruine. C'est une manière très étriquée d’envisager la nourriture, et c'est une manière très étriquée d’envisager la santé. La santé de nos organismes est liée à la santé de la communauté et à la santé de la terre. La santé est indivisible. C'est mon message secret. Un lecteur a écrit récemment que votre livre fait penser à un livre de régime. Est-ce le cas ? Il n'y a pas de « régime Michael Pollan ». Mon livre propose une sorte de programme pour aider à prendre des décisions mais ne donne pas des conseils restrictifs du type : « Mangez du beurre. Ne mangez pas de la margarine » même si vous pourriez sans doute déduire cela de ce que j’écris. Je ne pense pas que notre rôle soit de dire aux gens ce qu’ils doivent manger. Il est d'aider les gens à y réfléchir. J'essaie de déboulonner le culte de l'expert en alimentation. Le danger, c’est que je me présente moi-même à mon tour comme un expert. En fait, je tente de canaliser la sagesse de la culture de l’alimentation. Je pense que la science de la nutrition est encore trop jeune et pas assez aboutie pour être l'arbitre de nos choix alimentaires. Lorsque la science l'a fait – comme dans le cas des campagnes de santé publique pour manger moins gras, et plus de féculents – ça n'a pas très bien fonctionné. Si la science ne peut pas encore nous guider, qui le peut ? Ce n'est pas moi. C’est la culture, l'histoire et la tradition. Ce sont elles qui me guident. Mon livre tente de montrer pourquoi l’approche nutritionniste de l'alimentation ne fonctionne pas très bien, outre le fait qu’elle détruit le plaisir de manger. Et vous, que mangez-vous ? Je mange beaucoup d'aliments différents. Pouvez-vous préciser votre question ? Est-ce que votre nourriture sort parfois d'un paquet ? Vraiment rarement. Si vous regardez dans mon garde-manger, vous ne trouverez pas que beaucoup d’aliments transformés. À l’exception peut-être de certaines conserves de thon et de soupes. Je n'ai pas beaucoup de produits à faible teneur en matières grasses. Je préfère de loin manger moins d'un produit non allégé. Vous n’y trouverez pas non plus de lait écrémé. Je suis chanceux : je vis à Berkeley où il y a un marché fermier présent 50 semaines par an à quelques pâtés de maisons de chez moi. J'ai ainsi le luxe de pouvoir acheter des aliments très frais, de la bonne nourriture. J'ai un faible pour le pain. Je craque en particulier sur un bonne baguette de pain blanc… Après la lecture de votre livre, j’ai envie de planter quelque chose et de le grandir. Que vous a apporté le jardinage ? Mon premier livre était sur le jardinage, et j'aime le jardinage. C'est vraiment une partie importante de la solution pour bien manger. Dans de nombreux endroits, y compris dans les zones urbaines, il ya un chantier, il y a une pelouse, une petite parcelle de terre où l'on peut cultiver de la nourriture. Mon jardin mesure seulement 3 mètres par 6. Soit un timbre-poste. Mais j'ai pu y cultiver tant de nourriture l'été dernier ! Y a-t-il une nourriture plus locale que les aliments que vous cultivez vous-même ? Sans compter tout cet exercice physique effectué lors du jardinage… Comment peut-on arrêter de manger des produits alimentaires industriels et passer uniquement à des aliments réels ? N'est-il pas difficile de changer nos habitudes alimentaires ? Nous avons maintenant plus de choix que nous n’en avons jamais eu. On trouve aujourd’hui de la nourriture biologique en supermarché. Le grand défi, c'est qu’il faut se mettre à cuisiner. Beaucoup d'entre nous sont intimidés par la cuisine d'aujourd'hui. Nous regardons des émissions culinaires à la télévision, mais nous cuisinons très peu. Nous sommes en train de devenir des spectateurs de la cuisine, à l’instar des spectateurs du sport : on regarde mais on ne pratique pas. Laisser à des grandes entreprises le soin de préparer nos repas, comme nous l’avons fait ces 50 dernières années, représente une grande partie du problème. Nous sommes séduits par la facilité. En suivant mes conseils, vous allez devoir mettre un peu plus de temps et d'efforts dans la préparation de votre nourriture. Mais j'essaie de montrer quel plaisir cela peut procurer. Cela ne doit pas être une corvée. Il peut être incroyablement gratifiant de faire revenir les vrais aliments vers le centre d’une vie bien vécue.
Pourquoi
ne voit-on désormais dans le lait que du calcium, dans la sardine que
des oméga-3 et dans la myrtille que des antioxydants ? C’est parce que
nous sommes entrés dans l’ère du nutritionnisme, une idéologie dont
Michael Pollan démonte ici un à un les fondements fallacieux : « La
fonction de l’alimentation se cantonne à la santé » ou « Nous avons
besoin de nutritionnistes pour nous dire ce qu’il faut manger » ou
encore « Un aliment équivaut à la somme de ses constituants ». Le
nutritionnisme, au lieu de nous éclairer, sème la confusion dans les
esprits. Cette confusion sert les intérêts des experts eux-mêmes mais
aussi ceux de l’industrie agroalimentaire, toujours prompte à inonder
le marché de nouveaux produits « markétés » santé.
Pourtant,
depuis que la tradition a cédé la place à la science et au marketing,
nous ne sommes pas en meilleure santé. L’analyse de Pollan est
décapante. La fréquence du diabète, des maladies cardiovasculaires et
des cancers explose à tel point qu’aujourd’hui, la vocation première de
la médecine est de conserver en vie ceux qui tombent malades à cause de
l'alimentation industrielle.
L’excellente nouvelle c’est que les
ravages du nutritionnisme et de l’industrie agroalimentaire sont
réversibles. Il est possible de manger à nouveau de vrais aliments, en
consommant intelligemment.