Chose promise, chose due: voici l'article du Courrier dont je vous parlais ici.
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D'UN MONDE A L'AUTRE
Par ANNE PITTELOUD
Après La Leçon de choses en un jour, qui racontait l'entrée d'un enfant
dans l'âge de raison, le Valaisan Alain Bagnoud se concentre sur les
contradictions et les émois de l'adolescence dans son septième roman,
Le Jour du dragon. Ici aussi, l'action se déroule sur une journée,
initiatique: pendant la Saint-Georges, jour de fête dans ce petit
village montagnard, le jeune narrateur va vivre de nouvelles
expériences premiers pas dans la fanfare, premier baiser, rencontre
avec un peintre citadin, première boum et premier joint , autant
d'étapes rituelles vers une émancipation désirée. On est au début des
années 1970, et aux bouleversements de l'adolescence s'ajoutent ceux de
l'époque: tiraillé entre catholicisme et bouddhisme, fendant et
haschich, fanfare et rock, conformisme et rébellion, le jeune homme se
cherche dans le regard des autres ses deux copains, la famille, la
communauté... Un entre-deux inconfortable mais riche d'émotions, décrit
avec finesse. Poursuivant son entreprise autobiographique, Alain
Bagnoud ressuscite une société paysanne ressentie comme étouffante par
le narrateur, en esquissant une foule de thèmes: traditions archaïques
ainsi de ces deux clans qui s'opposent par le biais de leurs fanfares , émergence des promoteurs et de la spéculation,
combines politiques et misogynie, obligations sociales rigides, pouvoir
de la religion... Mais c'est l'homme d'aujourd'hui qui raconte: cette
distance lui permet de donner vie à ce monde ancien avec tendresse,
sans juger, dans des scènes savoureuses; elle favorise aussi l'ironie
envers celui qu'il était ce garçon lâche et maladroit fasciné par les
nouvelles valeurs mais pétri de tabous, qui change d'avis au gré des
opinions des autres, s'en désole, se sent seul et nulle part à sa
place... Le Jour du dragon mêle langage parlé des villageois et
envolées littéraires du narrateur, rêveur, grand lecteur, qui prendra
conscience de sa vocation face aux étoiles: il ressent alors une
«exaltation vague et mal définie», un sentiment d'appartenance au-delà
des jeux sociaux, et le désir de s'emparer «du souffle du dragon, de sa
puissance, de son pouvoir». Car le dragon n'est pas seulement l'animal
terrassé par Saint-Georges: il représente «le symbole de la vie
intérieure, de la créativité, de la profondeur qui est en nous»,
explique Sinerrois, le peintre, aux trois amis médusés.