Retour sur la controverse entourant Sylvain Bouchard, animateur typique d’une radio poubelle de Québec City, qui avait fait un appel en onde à arracher la photo de Francoise David d’une page d’un manuel scolaire abordant le féminisme. Écrit par Jacques Lanctôt, voici le texte “gros mots”, qui se veut également la critique d’une société qui a une peur maladive des mots:
A-t-on peur des mots au Québec, à ce point qu’on tente toujours de faire peur au monde, de discréditer une personne ou d’attiser des haines en traitant quelqu’un, sur la scène publique, de «gros mots», tels marxiste, socialiste, syndicaliste, communiste ou soviétique? En criant à l’endoctrinement et au lavage de cerveau? Ça pogne encore, ça?
C’est quoi l’affaire de Sylvain Bouchard et d’une station de radio de Québec qui pensent faire peur au monde avec de telles épithètes? Et le pire, c’est qu’ils réussissent… du moins, à faire sortir de ses gonds la principale personne visée, Françoise David.
Admettons-le, c’est carrément grotesque. Un jeune-vieux schmouk, émule de Duplessis sans doute sans le savoir, qui surfe sur la vague gluante de l’antisyndicalisme primaire, tente de convaincre ses auditeurs de dénoncer une personne publique pour ses idées de gauche, en utilisant des termes dignes de la guerre froide, c’est-à-dire il y a plus d’un demi-siècle, à l’époque où on mettait les gens sur une liste noire pour avoir manifesté des idées de solidarité avec les plus démunis de la société. Est-ce que de tels propos gnochons peuvent encore faire recettes aujourd’hui comme ils ont fait recettes, il y a trente ans, lorsque des fanatiques dénonçaient la pièce de Denise Boucher, Les fées ont soif?
Au lieu de s’indigner, Françoise David devrait être fière. Non pas de susciter une telle réaction, c’est de bonne guerre, mais d’être qualifiée de socialiste. Je sais bien que Françoise David est davantage outrée de cet appel à la violence à peine déguisé. Demander de déchirer une page d’un livre, c’est inciter à la haine, c’est évident, mais là encore, c’est de bonne guerre. Moi aussi je les «aguis» ces petits fascistes à la con, ces petits baveux qui parlent à travers leur chapeau et qui déblatèrent sur tout ce qui se fait à gauche, sur les luttes sociales, sur les revendications syndicales, sur ceux qui rêvent qu’un autre monde est possible, sur les indépendantistes, sur Chavez, sur Morales, sur Cuba, sur les Palestiniens, etc.
Amir Khadir a récemment lancé, dans un geste symbolique, sa chaussure sur une affiche du présumé criminel de guerre George W. Bush, pour appuyer le journaliste irakien et aussi pour protester une fois de plus contre les politiques génocidaires de l’ex-bourreau de la Maison Blanche. J’avais applaudi à ce geste dans une chronique précédente tandis que Khadir recevait une pluie d’insultes. C’est de bonne guerre! Quand on lutte, on dérange, on va à contre-courant, on est minoritaire, et on risque fort de manger une claque, comme on dit. Je ne vois pas pourquoi il faudrait se plaindre de cela. Ceux qui décident de lutter ne sont pas des victimes.
Je dois avouer qu’il faut être cuirassé quelque peu. Moi, on continue de me traiter de tous les noms, y compris de terroriste, d’extrémiste, de gauchiste et, bien entendu, de séparatiste et d’ex-felquiste. Avec mes chroniques sur Cuba, je m’imagine bien que je suis à contre-courant des idées dominantes et qu’une bonne partie de la population me considère comme un aveugle, un fou, un maudit communiste, un dangereux castriste, un révolutionnaire, un vendu, un utopiste et quoi encore? Je le répète, il faut s’y attendre. Car il y a deux façons d’être libre: lutter, avec toutes ses conséquences, ou laisser faire.
Au début des années soixante, nous n’étions qu’une petite poignée à manifester dans les rues de Montréal en faveur d’un Québec libre et socialiste. On nous criait des bêtises, on nous insultait, on nous agressait. Nous étions des sales, des barbus, des détraqués, des homosexuels, de dangereux révolutionnaires. Les temps ont changé et nous ne sommes plus aussi minoritaires. Nos idées ont fait du chemin et ont conquis bien des cœurs, mais nous sommes toujours minoritaires, il ne faut pas s’illusionner, et l’intolérance est toujours aussi omniprésente comme le prouvent ces propos d’un triste animateur de radio.
Alors, Françoise, oublie ce petit con et n’aie pas peur des mots. D’ailleurs, Québec solidaire devrait s’appeler, selon moi, le Parti socialiste du Québec. Tous les pays ont le leur, du Chili à la France. Le mot socialiste n’est pas un gros mot. Il ne fait plus peur, sauf à des gnochons, et c’est un beau mot, associé à des expériences et des idéaux fort nobles. Et puis, comme dit la chanson, «j’aimerai toujours le temps des cerises / c’est ce temps-là que je garde au cœur / moi qui ne crains pas les peines cruelles /je ne vivrai pas sans souffrir un jour…»