Randy Robinson, dit « The ram » (« le bélier ») est un catcheur professionnel qui a connu son heure de gloire à la fin des années 1980. Vingt ans après, il exerce toujours, mais ne se produit plus que dans de petites salles locales, loin des rings les plus médiatiques, et ses maigres cachets lui permettent à peine de payer son loyer. Pourtant, il s’accroche et continue à faire vibrer les quelques fans qui lui sont restés fidèles. Ce sport, ce spectacle, c’est toute sa vie. Il n’a de toute façon rien d’autre, hormis Stephanie, sa fille, dont il ne s’est jamais occupée - et qui le déteste pour cela – et Cassidy, une stripteaseuse vieillissante avec qui il a noué des liens affectifs.
Un jour, après un match un peu plus spectaculaire que les autres, il s’effondre, victime d’un malaise cardiaque. Les médecins réussissent à le tirer d’affaire, mais lui déconseillent fortement de continuer le catch. Pour Randy, une nouvelle vie commence, à laquelle il n’est pas forcément préparé…
Il y a deux façons d’appréhender The wrestler.
La première est d’y voir une variante réussie du Rocky Balboa de Sylvester Stallone, le portrait d’un homme usé, fini, rejeté de tous, dont les meilleurs moments sont derrière lui, mais qui se prouve qu’il est encore vivant. On peut s’en contenter et apprécier la simplicité du film, et la belle reconstitution des coulisses du milieu du catch. On voit comment sont arrangés les combats, comment sont choisis les coups pour être encore plus spectaculaire. Car le catch, évidemment n’est pas un sport mais un spectacle. Un spectacle quand même physique, qui laisse des séquelles à ses participants, et les oblige à recourir à une multitude de produits dopants pour conserver leur musculature imposante et à supporter les douleurs.
On est également emporté par la belle performance de Mickey Rourke, touchant en has been au cœur encore palpitant de vie et d’envie. Presque un rôle autobiographique pour l’ex-idole des années 1980, sex-symbol consacré par 9 semaines ½, grand acteur confirmé par Angel heart ou l’année du dragon, avant de sombrer dans des excès autodestructeurs et de ruiner une prometteuse carrière, et qui réussit aujourd’hui son come-back en pleine lumière.
Oui, on peut très bien se contenter de cela, mais il serait dommage de passer à côté du second niveau de lecture de l’œuvre de Darren Aronofsky : le portrait corrosif d’une Amérique à bout de souffle, déclinant lentement mais sûrement, et ne tenant encore que par ceux qui y vivent et qui y rêvent.
Le personnage de Randy « The Ram », tout comme le personnage de Rocky Balboa, d’ailleurs, est représentatif d’une certaine idée des Etats-Unis et du rêve américain, du moins tel qu’il était conçu sous l’ère Reagan. Dans les années 1980, Randy, ange blond et invincible montagne de muscles, faisait triompher la justice et la démocratie sur les rings, écrasant des adversaires catalogués comme « méchants », tels que le cruel Ayatollah. A l’époque, la menace venait du régime iranien de Khomeini, et le catch, en bon spectacle exutoire, se devait de porter haut les valeurs de l’Amérique triomphante.
Aujourd’hui, le nouvel ennemi est irakien, mais le public n’a pas vraiment besoin de combat de catch pour figurer cet affrontement. Il peut suivre les combats quasiment en direct à la télévision. Un bien triste spectacle…
Les Etats-Unis sont à l’image du personnage joué par Randy. Un bélier qui fonce tête baissé et aveuglément sur ses ennemis, quels qu’ils soient. Des ennemis choisis de façon à continuer à alimenter la légende, à créer un grand show à la gloire de la première puissance mondiale.
L’Amérique, c’est ça : un corps énorme, boursouflé, gonflé artificiellement, qui se croit invincible mais qui se délite de l’intérieur, en son cœur…
Les décors du film sont symptomatiques de ce délabrement interne : fête foraine abandonnée, caravanes miteuses, voitures-poubelles, bicoques défraîchies et salles de sport crasseuses.
Les personnages eux-mêmes sont des êtres fragiles, marqués par la vie et les épreuves, luttant pour continuer à survivre. Pour supporter cette vie de galère, certains, comme Randy, se tournent vers le passé et les années glorieuses et prospères. D’autres, comme Cassidy, ont foi en un avenir meilleur, loin de la misère.
Cassidy, la stripteaseuse, c’est le double féminin de Randy (en nettement plus sexy, quand même…). Tous deux sont englués dans la même vie minable. Deux paumés obligés d’exhiber leurs corps, de le donner en spectacle pour offrir quelques minutes de fantasme à des types aussi pauvres qu’eux. Chaque soir, ils se jettent dans l’arène, se mettent à nu – ou presque – et mettent en péril leur cœur, au sens propre pour lui, au figuré pour elle. Le risque, pour elle, c’est de tomber amoureuse d’un client, et d’entamer une relation qui l’empêcherait de partir loin de cette ville minable. Autant dire que, même si elle n’est pas insensible au charme viril de Randy, leur histoire d’amour est loin d’être évidence.
Autre relation compliquée, celle qu’entretient Randy avec sa fille. Après s’être séparé de son ex-compagne, Randy ne s’est plus du tout occupé d’elle. Pas un mot, pas un appel pour lui souhaiter ne serait-ce qu’une fois un bon anniversaire, et encore moins de cadeaux et de petites attentions. Alors forcément, quand il se rappelle à son bon souvenir, après sa crise cardiaque, la jeune femme ne déborde pas d’enthousiasme. Etre aux petits soins pour son vieux père malade, très peu pour elle ! Ils vont essayer de renouer des liens affectifs, mais, après toutes ces années, le processus est loin d’être une chose aisée…
On est très loin de l’image propre et lisse de l’« American way of life » vantée par les vieilles publicités. Ici, pas de beaux pavillons de banlieue, de couples heureux et d’adorables enfants. Chez Aronofsky, les habitations sont des taudis, l’amour est compromis par un climat social délétère et la famille est un lieu de crise. Un constat très noir qui écorne sérieusement le cliché d’une société idéale, déjà passablement terni par les années…
Plus que le portrait d’un homme en bout de course, le cinéaste réalise l’autopsie du rêve américain, assassiné par des années de gestion désastreuse, d’attitude hautaine vis-à-vis du reste du monde, d’impérialisme belliqueux. Le tout avec une retenue et une sobriété inhabituelles chez le réalisateur de Requiem for a dream et de The foutain.
Le cinéaste distille subtilement ses thématiques en arrière-plan, abrité par l’imposante stature de Mickey Rourke, qui attire inévitablement l’attention sur sa prestation, mais aussi sur les points communs entre son personnage et lui.
Mais il n’est pas le seul à livrer une belle performance d’acteur. Evan Rachel Wood, dans le rôle de Stephanie, confirme qu’elle est bien une grande comédienne, promise à un grand avenir. Et puis il y a Marisa Tomei, magnifique. Comment se fait-il qu’Hollywood n’ait pas mieux exploité – et plus souvent - le talent de cette remarquable actrice, oscarisée très tôt (pour Mon cousin Vinnie, en 1992) et cantonnée depuis dans des seconds rôles parfois indignes de ses capacités ? Elle trouve ici une belle occasion de prouver à ceux qui l’ont oubliée qu’elle est toujours aussi brillante, et de plus en plus belle…
Pouvant s’appuyer sur ce superbe trio, Aronofsky réussit parfaitement toutes ses scènes intimistes. Malgré le côté tire-larmes de son sujet, il ne tombe jamais dans le piège de l’émotion facile, et parvient à conserver de bout en bout une certaine intensité dramatique. Tout est parfaitement calibré, de la belle musique de Clint Mansell à la photo de Maryse Alberti.
Conciliant une trame narrative grand public portée par des acteurs au sommet de leur art et un propos d’auteur subtil et impertinent, The wrestler est assurément un grand film. Le jury du 65èmefestival de Venise ne s’y est pas trompé, puisqu’il lui a remis un Lion d’or mérité.
Note :
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