On ne peut pas dire que ce début de 21e siècle soit vraiment sympa pour les musiciens de plage à l’ancienne : ceux qui devaient apprendre à jouer de la guitare pour emballer les filles.
Une conversation entendue à la cafèt’, mon passage au mode expert dans RockBand, et la sortie de Songsmith de Microsoft font naître en moi une théorie qui tient la route. Les geeks ont mis leur misère aux musicos qui leur faisait tant concurrence en 1993. Je détaille après le jump.
Oui, je ne parle pas du musicos pur et dur, le bon, le vrai, celui dont la musique coule dans les veines, celui qui est beau et fait craquer les filles, mais qui est tellement empreint de la musique, qui aime tellement ça, qu’il n’y prête pas plus attention que ça.
Celui-là est sauf. Il a monté un groupe et propose ses morceaux sur Myspace, il a 475 amis (dont 300 sont d’autres groupes qui passent le plus clair de leur temps à se dire entre eux de s’écouter eux-mêmes).
Non, je parle de celui qui apprend à jouer de la guitare, car il a compris que jouer de la guitare assis en tailleur sur la plage à deux avantages : celui de ne pas avoir à rouler le joint (t’as les mains prises), et celui de susciter l’adoration des filles, car les filles adorent les gars qui jouent de la guitare assis en tailleur sur la plage (elles ont les mains libres).
Je suis né et j’ai vécu toute mon adolescence à Cannes. La plage fait partie de ma vie, et du mois d’Avril à Octobre elle était un rendez-vous lascif et permanent. J’ai pris le train en marche, tardivement, car j’ai du n’apprendre la guitare qu’à 16 ans, cette tardivité-là a fait que j’étais une sorte d’accident, à la fois guitariste et noob, juste assez guitariste pour plaire, mais pas assez pour me mettre à graver sur ma guitare une croix par suçon récolté.
J’ai le regret de reconnaitre que je n’étais pas guitariste pour raisons musicales, mais pour raisons sociales. Comme pour la cigarette, c’est après qu’on se rend compte que c’est pas mauvais en utilisation solitaire , puis carrément bon. Sauf que la guitare en elle-même ne nuit pas à la santé.
Nice, 1998
Je suis arbitre
En tant qu’ex sunset crooner, c’est à dire guitariste de plage, et en tant que mode Expert à Rockband (sur Wii, n’exagérons pas, je ne suis pas si cool que ça), je suis donc bien placé pour avoir un regard d’arbitre Nietschzéen du haut de mes trente ans.
Je tends la main aux vieux quadras d’un coté, et l’autre à la jeunesse de vingt ans.
C’est ma génération qui va décider maintenant, pour les 15 ans à venir, bande de petits cons, tout ce que vous allez voir, entendre, manger, porter.
Je n’ai pas connu Claude François de son vivant, et pourtant je suis né cinq ans avant Super Mario Bros sur NES. Génération intacte.
Deux nénettes de 15 ans
Parlaient entre elles d’un garçon, à la cafétéria. Je traduis presque mot à mot leur discours, avec peut-être un langage plus adapté à la qualité littéraire de ce blog.
- Vois tu, Mégane, ce garçon, son côté mystérieux le rend séduisant.
- Oui, ce que tu dis est clair. Il était Samedi dernier à la soirée organisée par Zohra.
- Ah bon ?
- Oui. Et je peux te dire que c’est un Dieu à Guitar Hero. Il a défoncé sa mère à “Enter Sandman” en Expert, mode gaucher, bras attaché dans le dos et jeu du foulard au cou.
- Noooooon trooop la claaaaaassssssssseeeee !!
Et là je me suis dit qu’avoir 16 ans aujourd’hui requiert moins d’efforts qu’il y a 14 ans. Fini les ampoules, les heures et les heures passées à apprendre des chansons à la con de Cabrel, Goldman, les Red Hot ou Nirvana (fallait jouer tout ça à l’époque), maintenant, tu te cales dans le canapé, et tu fais péter les boutons, et les filles adorent.
Guitar Hero, Rockband : hyper dur pour un musicien, très facile pour un fan.
La première fois que j’ai essayé Rockband, fort de mon expérience de guitariste, j’avais le sourire aux lèvres, enfin me disais-je, mon expérience guitaristique allait me servir à autre chose qu’à jouer de la guitare.
Que nenni. Cela n’a rien à voir avec la vraie guitare - on est plus appelé à saisir des segments rythmiques dont chaque fret représentent la variation harmonique, qu’à caler des notes, la notion de frette existe, mais il n’existe pas de corde. Ou plutot frette et corde sont un seul et même concept.
Et non seulement ça, mais à cause de ce découpage mélodique bizarre, un musicien est rapidement décontenancé par l’exercice - un solo en mode normal par exemple développera plusieurs notes en ne grattant qu’une fois le mediator de la guitare. Du coup, vous, avec vos quinze piges de guitare dans les pattes, vous passez pour un vieux demeuré devant l’écran, le public vous siffle, et l’artère de votre cou se gonfle d’exaspération.
Il m’a fallu réapprendre l’instrument. L’expérience de la guitare heureusement vous donne quelques facilités en main gauche et main droite, en coordination etc, mais il faut réapprendre.
Songsmith, le coup de grâce
Je compte sur une seule main les logiciels qui ces 3-4 dernières années m’ont fait faire “Wouaou”, dont l’ingéniosité, le peit truc technique confère à la magie.
Il y a eu Google earth bien sur…Evernote…Midomi ou Shazam sur Iphone…et depuis un mois, Songsmith de Microsoft.
Là ou Guitar Hero vous permet de jouer du manche sans vous être fatigué à apprendre la guitare, Songsmith vous fait composer des chansons sans vous être emmerdé au solfège.
Microsoft a eu la très bonne idée de le positionner familial, pas du tout professionnel : petit logiciel à papa et maman pour faire des chansons rigolotes, low profile. Mais techniquement, c’est une tuerie.
Le principe est simple : chantez n’importe quoi, mais alors n’importe quoi, n’importe comment, un petit peu en rythme tout de même, spécifiez le genre musical que vous voulez faire, et songsmith vous pond en deux temps trois mouvements un accompagnement harmoniquement viable, qui fait de votre borborygme une musique de pub.
Il faut l’entendre pour le croire.
La bonne nouvelle, c’est que vous pouvez télécharger chez Microsoft une version de démo qui vous permet de faire joujou avec le logiciel pendant 6 heures (en 6 heures, j’ai pu composer trois albums, dont les paroles tournent principalement autour de “1 2 1 2 TEST” et “C’est géniaaaaaaaal ce truuuuuuc”).
Nous aimions Top Gun, nous voulions être Maverick, il y eut Combat Flight Simulator.
Nous aimions les Gun’s, Nirvana, les Red Hot, les Pixies, il y eut Rock Band.
Cette crise de la guitare sociale va assainir le marché.
Moins de Sunset Crooners, plus de vrais guitaristes pour la guitare.
Et moi au milieu de tout ça, fébrile, j’attends avec terreur le jour où mes doigts ne suivront plus, et où je ne pourrai plus m’adapter aux trucs que ma génération sort pour la génération d’après, juste pour faire la nique à la génération d’avant.
Idée d’emploi pour la crise, pour toi le jeune :
DONNE COURS DE GUITAR HERO
Pour débutants, seniors acceptés.
Améliorez vos scores, mode normal à expert.
Leçons de 2 heures. 35 €
Professeur certifié (g 13 ans lol)
Cash uniquement ( bichocos acceptés)