Nous y voilà on dirait.
Le peuple qui gronde, ces rues que des millions de pieds battent avec l’entrain de la colère, ces grévistes que soudain on ne déteste plus mais que l’on soutient, que l’on aime…
Ce serait donc... La rentrée sociale ?
Comment donc, mais ne disait-on pas le syndicalisme exsangue, bien trop faible pour faire monter cette vague puis guider ces flots furieux vers d’utiles irrigations ?
Aurait-il soudain retrouvé forces et rôle à la mesure de son prestigieux historique ?
J’en ai lu qui, presque, l’affirmait.
Chirstian Dufour, sociologue et Directeur adjoint de l’IRES, un spécialiste de ces choses donc : « la représentativité [n’est] pas que le résultat d’un processus statistique mais le résultat d’un processus de mobilisation […] N’est-ce pas le rapport de forces et la capacité à mobiliser et à s’instituer représentatif des revendications des salariés qui font avancer les choses ? »
Bel optimisme, combattant.
Mais si nous commencions par nous pencher en une sceptique vouture vers le succès de la mobilisation.
Ici, quelques explications sont avancées : « La personnalité du chef de l’Etat, qui irrite par ses attitudes et qui, par son activisme, fait converger sur lui toutes les réactions sociales.
La pédagogie lamentable d’un gouvernement qui agit sans expliquer pourquoi. Cette lacune absolue fait rêver d’envoyer ces ministres dans un IUFM si ces derniers servaient d’école pédagogique.
Le refus de payer seuls la crise, l’exigence de la plus grande solidarité et de la plus forte égalité dans le traitement de la crise. Le bouclier fiscal revient comme un boomerang pour faire douter les Français d’un traitement égalitaire. »
Une donnée de base donc : la France en colère.
Bien, mais en tout ceci les syndicats n’interviennent pas semble-t-il.
Tiens, d’ailleurs, quel est l’ordinaire de leurs actions ?
Selon un autre membre de l’IRES, Jean-Marie Pernot, si on considère un processus syndical harmonieux, à la manière d’une image d’Epinal, il s’écoule comme suit : revendications, production des soutiens, négociations et enfin résultats.
Maintenant, le chômage de masse étant passé par là, cela fait déjà quelques temps, près de trente ans en fait, que cette belle articulation est devenue plus branlante.
De plus en plus fréquentes distorsions entre des revendications, axées principalement sur l’emploi, et des résultats portant plus sur les salaires et peu sur l’emploi, furent autant d’atemis portés à la légitimité syndicale.
Avec, dans une tentative de sauver de la noyade, des syndicats qui sans oser l’avouer se contentent d’opérer dans telle ou telle phase du processus (la CGT, pour faire court, prenant surtout les parties revendicatives, abandonnant les négociations et résultats qui lui aurait été défavorables, à la CFDT, qui elle dispose d’une capacité de mobilisation moindre).
Et maintenant, les courants du moment poussent-ils vers de plus beaux rivages ?
Verra-t-on les syndicats « s’instituer représentatifs des revendications » et faire « avancer les choses » ?
Loin, très loin d’être certain.
C’est qu’ils se sont surtout laissés porter par le mécontentement et se sont contentés de fixer le lieu et la date et on a le sentiment que la mise en forme des revendications fut, dans ce cas, minimal. Mais il faut bien reconnaitre que faire d’un sentiment d’injustice mêlé d’inquiétudes sur l’emploi et le pouvoir d’achat, des propositions à la fois précises et mobilisatrices, n’est pas très évident ; surtout quand on est chiche en implantation. C’est que c’est tout de même bien pratique une armée d’adhérents. C’est même une dimension essentielle de la capacité à représenter ; plus large est la base d’élaboration, plus proche de l’ensemble des salariés seront les propositions. Et je ne m’attarderai pas, par délicatesse, sur l’écart qui augmente, encore, entre un service public partiellement mobilisable et des salariés du privé que rien ne parait attirer vers les filets syndicaux.
Enfin, il y a du nouveau, ou une confirmation plutôt, mais dont on ne sait pas trop comment s’en débrouilleront des organisations qui n’ont, depuis bien longtemps, pas brillé par l’imagination ou la lucidité : la revendication s’est déplacée de la grève vers la manifestation.
Par la force des institutions, et quelle que soit leur réelle tenue du gouvernail, c’est aux syndicats que revient la responsabilité de définir, ou au moins de suggérer au gouvernement, l’arsenal des décisions à prendre pour tenter de remédier à la crue des mécontents.
Et, un peu d’empathie aidant, on est bien embarrassé.
D’une part, on se demande bien ce qui peut vraiment ressortir de revendications aussi générales. Comme le remarquait Guy Groux, l’état ne peut pleinement y répondre « sauf à nationaliser toutes les entreprises et à garantir l'emploi pour tous les salariés. »
D’autre part, il est des voies qui ne pourront pas ne pas être empruntées :
- le traitement du chômage avec un gonflement conséquent, en cours et à prévoir – ce qui, en passant, relativisera au moins un peu l'idée selon laquelle le chômage est principalement une question de responsabilité individuelle.
- Les thèmes de l’emploi et du pouvoir d’achat se déclineront principalement au niveau de négociations locales ou sectorisées.
En somme, deux cadres dans lesquels s’appuyer sur la grand messe ne sera pas suffisant pour montrer sa puissance retrouvée.