Et vous, choses
navales, mes vieux jouets de songe !
Composez hors de moi ma vie intérieure
Poezibao l’a signalé dans son dernier « agenda », Frédérique Wolf-Michaux reprend pour un soir, à Cergy Pontoise, son spectacle autour de l’Ode Maritime de Fernando Pessoa. Claude Ber a vu ce spectacle et en rend ici compte.
L’Ode maritime est de ces très grands textes, qui plongent au plus profond de la complexité humaine, mêlant conscience la plus aigue et reflux de l’inconscient dans sa brutalité. Un texte qui bruit du murmure au tumulte et fait résonner, mêlé à la rumeur du port et de la mer, l’entier de nous-mêmes emporté dans les désirs, les rêves, les pensées, les tensions intimes dans la violence de notre univers intérieur traversé d’élans, d’images, de retombées et de fulgurances. Il faut un très grand talent pour mettre cette parole en corps et en scène sans la minimiser ni risquer la redondance. C’est un pari, que la comédienne et metteur en scène Frédérique Wolf-Michaux a réussi au-delà de ce qu’on pouvait espérer. La qualité de son jeu comme celle de sa voix de contralto capable de passer avec autant d’aisance que de maîtrise du parlé au chanté, du murmure au cri, de l’intériorité à la puissance du chant, lui permet de donner à entendre le texte dans toute sa force et sa finesse, à entendre et à voir sa richesse dans une égale richesse d’interprétation et avec la présence physique qui est la sienne. La grande réussite de ce remarquable travail de comédienne – un travail rare comme chaque fois que l’acteur sait porter, incarner le texte sans jamais être ni en avant ni en deçà de lui- c’est le sentiment qu’a le spectateur de recevoir les mots pour la première fois, comme s’ils s’inventaient devant nous. Ils naissent là, sur scène, de cette fine silhouette à la fois androgyne et sensuelle, épurée et charnelle qui emplit tout le plateau, accompagnée par les guitares et l’image. Et plus qu’un accompagnement, la partition musicale créée par Alexandre Meyer et Frédéric Minière comme l’image, sont de véritables partenaires du jeu. L’imaginaire sonore des deux musiciens, qui font naître de leurs instruments des sonorités inattendues, colle au jeu sans jamais le redoubler ni l’agrémenter. Ce sont deux univers tressés, indissociables, résultat d’improvisations en commun des trois interprètes, le musicien et la comédienne-chanteuse. Des sons, des voix se répondent comme ils le font dans le texte et dialoguent avec lui sans l’illustrer. C’est ce qu’est parvenu à faire aussi Giney Ayme, dont on connaît l’exigence de plasticien. Au sol comme à la création chez Mathilde Monnier à Montpellier ou projetée sur un écran de 8 mètres de long lors des reprises au théâtre du Chaudron et au Théâtre 95, dans les deux cas, la vidéo prend la comédienne dans ces images d’une plasticité rigoureuse sans concession ni anecdote. Pari réussi pour ces quatre artistes, dont la rencontre crée un objet artistique à part entière, à la fois théâtral, sonore et plastique de cette originalité et de cette évidence qui signent les réussites. C’est là un grand moment de théâtre à la fois exigeant et immédiat, dense et dépouillé, subtil et puissant. Depuis Checkpoint Charlie en passant par Le Mer intérieure, Frédérique Wolf Michaux y affirme toujours aussi clairement sa singularité dans le paysage théâtral contemporain, où elle élabore dans un face à face exigeant avec les textes, dont elle renouvelle l’approche, une écriture théâtrale particulière, à la fois en prise avec les interrogations actuelles du théâtre et profondément originale.
Contribution de
Claude Ber
Ode Maritime de Fernando
Pessoa
Mise en scène et interprétation Frédérique Wolf-Michaux
avec Alexandre Meyer et Frédéric Minière, guitare et guitare basse, Giney Ayme
vidéo
le 10 mars 2009 a 21h au théâtre 95 a Cergy Pontoise
Réservations : 01 30 38 11 99 ou [email protected]