Magazine France
La crise économique a sonné le glas du programme présidentiel. Chaque semaine, le président français est contraint au recul : des manifestations bruyantes à chacun de ses déplacements, des ministres ou secrétaires d'Etat désavoués et épuisés, une protestation qui s'étend. La machine sarkozyste s'enraye. Cette semaine encore, Nicolas Sarkozy a posé un genou à terre, débordé qu'il est par la crise sociale.
Il recule en semant des billets
Deux secrétaires d'Etat ont cédé ces derniers jours. Yves Jego a dû se réfugier en France, abandonnant la négociation en Outre-Mer à deux médiateurs imposés par le Premier Ministre. Après la Guadeloupe, la Martinique, voici la Réunion et la Guyane qui se joignent au mouvement. Yves Jego a avoué se sentir inutile. Chaque jour de silence présidentiel qui passe a aggrévé la situation. Jeudi, la secrétaire d'Etat à l'Enseignement Supérieur a prévenu : Valérie Pécresse a annoncé «un nouveau texte dans les semaines qui viennent» sur le statut des enseignants-chercheurs. Même Brice Hortefeux a calmé le jeu: il a garanti au Planning Familial le maintien de ses crédits jusqu'en 2011. Nicolas Sarkozy lui a résisté jusqu'au bout. La Guadeloupe attendra. même le mort dans la nuit de mardi à mercredi n'y a rien changé. Mercredi, il ne s'exprimait que sur les protestions sociales, pour concéder un recul minimaliste : "La justice, ce doit être une priorité en ce moment".
Le président a ainsi fait semblant de conserver la main. Il a préparé son dossier, finalisé ses mesures, mis en boîte une intervention télévisée qui fut diffusée aussitôt les organisations syndicales parties de l'Elysée. On avait mal compris l'expression présidentielle du 5 février dernier: "je mets sur la table." On croyait qu'il y aurait débat. Finalement non. Le président a certes avalé une couleuvre, il a posé un genou à terre, c'est bien suffisant. Voici donc 2,6 milliards d'euros de "relance par la consommation", cette fameuse relance, calibrée a minima, que Nicolas Sarkozy ne voulait pas actionner : suppression des deux tiers restants de l'impôt sur le revenu restant à acquitter pour 4 millions de foyers, crédit d'impôt pour 2 millions d'autres, 300 millions d'euros de bons d'achats de services à domicile pour des ménages ciblés et modestes, une prime immédiate de 500 euros pour les nouveaux chômeurs de moins de 4 mois, une augmentation ponctuelle de 150 euros de l'allocation de rentrée scolaire, etc.
Puis, jeudi, le chef de l'Etat a tenté d'effacer un mois de silence présidentiel sur les "évènements" de Guadeloupe: encore une enveloppe, 580 millions d'euros cette fois, qui masque un vrai recul: l'Etat financera bien une hausse de salaire de 200 euros environ. Sarkozy ne lâche pas le mot. Il préfère parler de "prime déchargée" de cotisations sociales pendant 2 ans. Et il promet de venir sur place, pour inaugurer des "états généraux" de l'Outre-Mer. Mais les DOM sont comme l'environnement, ils ont moins besoin d'un Grenelle que d'actions concrètes. Jeudi encore, il lâchait une promesse de 300 millions d'euros d'aide aux agriculteurs.
In fine, le déficit budgétaire de la France devrait frôler les 90 milliards d'euros en 2009, un record historique. La Commission Européenne enclenché mercredi une procédure pour déficits excessifs contre la France, mais aussi l'Espagne, la Grèce, l'Irlande, la Lettonie et Malte. Pour un pays qui sort d'une présidence européenne comme la Sarkofrance, ça fait désordre, non ? Paris répond qu'il faut bien relancer l'économie...
Mais la justice sociale peut attendre.
Au-delà de ses annonces en cascades, le chef de l'Etat n'a en fait cédé sur rien d'essentiel. Il répète à l'envie qu'il comprend les souffrances, qu'il connaît les difficultés. Mais il ne cède pas sur le fonds.
Premièrement, le monarque a prévenu : "les réformes doivent continuer", et notamment celles de l'hôpital, des lycées, des universités, de la formation professionnelle. Pas touche au bouclier fiscal, aux défiscalisations d'heures supplémentaires, aux offres raisonnables d'emploi, à la suppression progressive des pré-retraites, et aux franchises médicales.... Cette semaine, l'assemblée nationale a d'ailleurs adopté la loi "libérale" de Christine Boutin sur le logement, aussitôt dénoncée par le DAL. Médecins, enseignants, chercheurs, fonctionnaires, retraités, salariés du privé, vous pouvez maintenir votre rendez-vous social du 19 mars prochain !
Deuxièmement, les engagements de "cogestion" avec les organisations syndicales sont surtout des vœux pieux: Sarkozy demande simplement aux partenaires sociaux de mettre à l'ordre du jour de leurs discussions du second semestre la gouvernance d'entreprise, la réforme des élections prudhommales et l'égalité homme-femme. Lui qui est prêt à réformer "le système financier international" n'ose pas s'aventurer dans les coulisses des entreprises du pays...
Troisièmement, on dirait que Sarkozy fait semblant de menacer les grandes entreprises, les banques ou leurs dirigeants. A chaque excès un peu trop voyant, il pousse un cri mais s'en remet à leur bonne volonté tantôt du Medef tantôt des actionnaires. Cette fois-ci, il a "invité" les banques à faire preuve de clémence créancières contre les nouveaux chômeurs. Mais le jour même, ce funeste 18 février, deux d'entre elles annoncent des dividendes confortables pour leurs actionnaires. D'ailleurs, Sarkozy n'a rien dit des quelques 6 milliards d'euros de dividendes que l'Etat devrait toucher des entreprises publiques dont il est actionnaire ? Pareillement, il s'en remet aux partenaires sociaux pour négocier l'indemnisation à 75% du chômage partiel.
Quatrièmement, Sarkozy sape le système fiscal français : en exonérant (partiellement) d'impôt sur les revenus 4 à 6 millions de ménages modestes, il s'attaque à l'impôt le plus redistributif du pays, et évite de parler ... du bouclier fiscal ou de la TVA. Qui a noté que cette mesure coûtera 800 millions d'euros, soit exactement les estimations de remboursement d'impôts au titre du bouclier fiscal pour l'année 2008 ?
Il n'avoue pas son échec idéologique
Elu sur le fameux thème "travailler plus pour gagner plus", Nicolas Sarkozy avait déjà battu retraite il y a un an, un jour de janvier 2008 quand il avouait devant des journalistes souriants que "les caisses étaient vides". Sa loi "Tepa", son "pâté" fiscal, a cumulé toutes les aberrations et les injustices du moment : en défiscalisant les heures supplémentaires, il flingua l'intérim et aggrava la crise de l'emploi plus tôt que chez nos voisins européens. En défiscalisant les intérêts d'emprunt immobilier, il prolongea un peu plus la bulle immobilière avant son effondrement en septembre dernier. En protégeant les plus riches d'un aimable bouclier fiscal abaissé à 50% des revenus annuels, il acheva le mythe d'une révolution conservatrice équitable. Quand la crise "mondiale" frappa les esprits et les bourses, le monarque capitula. Place à la relance "par l'investissement", exit le travail et les travailleurs ! Face à la crise, Sarkozy ne voulait aider que les employeurs et le capital. A l'automne, il tentait de faire bonne figure à l'étranger. Mais la présidence européenne terminée, le roi se retrouve nu comme un vers.
Il ne tire pas les leçons de l'étranger
Il n'y a qu'à observer nos voisins occidentaux pour mesurer les limites de l'action de Nicolas Sarkozy. Primo, le chef de l'Etat a raison de rappeler que la situation française est plus enviable que celles des pays anglo-saxons. Mais il n'y est pour rien. La France conserve quelques filets sociaux que Sarkozy parvenu au pouvoir s'empressait de vouloir détruire au prétexte que "l'Etat est devenu trop lourd." Secundo, certains de nos voisins ont montré un activisme plus fort et plus déterminé. Aux Etats Unis, Barack Obama vient d'annoncer un plan de 75 milliards d'euros pour venir en aide à 7 À 9 millions de propriétaires américains menacés de saisie de leur logement. Ramené au PIB français (un septième du PIB américain), un tel plan se chiffrerait à 8 à 10 milliards d'euros en France !! Au lieu de quoi, Nicolas Sarkozy se contente "d'inviter" les banques à modérer leurs échéances de remboursement vis-à-vis des foyers frappés de chômage partiel.... Quand on découvre que la BNP et la Société Générale verseront respectivement 900 millions et 700 millions de dividendes à leurs actionnaires contrairement aux annonces présidentielles du 18 février, on mesure mieux combien le chef de l'Etat est entendu... Autre exemple, la lutte contre les paradis fiscaux. Gordon Brown entend attaquer directement les évasions fiscales individuelles vers la Suisse. Nicolas Sarkozy n'a jamais eu cette audace. Il préfère rester flou.
La presse étrangère ne s'y trompe pas. Un éditorialiste du Temps, le quotidien suisse, raille la récente exigence protocolaire du Monarque de figurer à la droite du secrétaire général de l'OTAN en avril prochain pour le 60ème anniversaire de l'organisation atlantique. En Allemagne, Die Zeit pense que Sarkozy doit "se réinventer" dans un pays devenu "ingouvernable". Le britannique Financial Times juge que "l'UMP est hantée par les révoltes sociales de Mai 1968 et les mobilisations sociales de grande ampleur qui ont paralysé le gouvernement de centre-droit en 1995 et 2006".
Il n'a plus le sens de la mesure
Finalement, Nicolas Sarkozy semble surtout perdre le sens de la mesure. Tous les jours, une anecdote plus ou moins significative révèle que le chef de l'Etat pense à ses proches et alliés, ou à lui même, davantage qu'au pays. Pensez aux symboles de la semaine : la défense d'un ministre ancien consultant pour des dictatures africaines, une grâce pour un ancien fidèle coupable de trafic d'armes, un parachute parlementaire pour le nouveau patron de l'UMP, une augmentation salariale pour un débauché de l'ouverture; un week-end au ski à Mégève quand la Guadeloupe brûle. Voici "le seul chemin qui vaille", "celui de l'effort, de la justice, du refus de la facilité." Jeudi 19 février, quand Nicolas Sarkozy s'est déplacé dans un petit village de Maine-et-Loire de 1600 habitants, pour parler d'agriculture, il était accompagné de ... 700 policiers et gendarmes venant du Raid, du GIGN, de l'habituel le GSPR (Groupe de Sécurité du Président de la République), de 4 escadrons de gendarmes mobiles, et des CRS. Quel est donc l'enjeu de s'afficher ainsi sur le "terrain" ?
Cet homme-là a-t-il encore le sens de la mesure ?&alt;=rss