Editorial RELATIO par Daniel RIOT: Les feux. Encore… Après la Croatie (les pierres de Dubrovnik léchées par des flammes d’enfer), voici la Grèce transformée en fournaise. Avec des forêts, ces poumons de la planète, sacrifiées et des morts : une cinquantaine déjà et ce bilan, le plus catastrophique depuis des décennies, s’alourdit d’heure en heure, en raison de la centaine de foyers poussés par les vents vers des villages et des villes.
Athènes menacée par Vulcain qui se venge de sa laideur et de son cocufiage. (Venus et Mars, déjà…). L’Olympe dans les brasiers toujours difficiles à maîtriser depuis l’audace insensée de Prométhée et son éternelle rivalité avec Lucifer. Voler le feu dans le char du Soleil pour le transmettre aux Hommes : vitale mais redoutable responsabilité.
«Nous livrons une lutte inégale sur beaucoup de fronts, dans des conditions particulièrement difficiles», a admis le Premier ministre grec Caramanlis, en décrétant l’état d’urgence, en accusant légitimement des mains criminelles encore à identifier, et en attendant une aide européenne comme Prométhée au foie dévoré attendait Héraclès dans sa prison à ciel ouvert du Mont Caucase…
Les Européens arrivent, bien sûr. De pluisieurs pays, notamment de ceux habitués aux feux de l'été. Généreux et compétents, les secours mais lents. Armés de bonnes intentions, les secouristes, mais faibles de leur morcellement, de leur manque de coordination, de leurs défauts de structures d’alertes et d’interventions. Et de cette lâche imprévoyance des responsables politiques européens, toutes tendances confondues, qui, sauf dans les moments d’émotion (gonflée par les rites cathodiques) suscités par des événements incontrôlés qui font de bonnes images à la télé…Le bon sens européen brûle-t-il ?
Comment ne pas comprendre en ce dernier week-end d’août, que les raisins de Corinthe, soient aussi ceux de la colère ? Et que le Péloponnèse, théâtre d’une nouvelle guerre moderne, soit furieux de servir de décors à une superproduction d’un « Apocalypse Now » qui nous rappelle que la bêtise peut être terroriste et que l’imprévoyance peut-être criminelle.
Bêtise terroriste: elle est, en l’occurrence, européenne. Créer pour la paix, l’Union ne s’est pas encore donnée les moyens d’assurer sa paix intérieure. Pas d’Europe de la sécurité civile, pas d’Europe de la protection civile, pas d’ « armée » européenne de la sûreté intérieure…
Imprévoyance criminelle: elle est aussi européenne. Pourtant, après chaque catastrophe, naturelle ou humaine, tout le monde jure « croix de bois croix de fer » que tout sera fait pour que la « solidarité européenne » s’affirme concrètement, sur le terrain, en tout en pour tout…Relire, revoir, réécouter tout ce qui a été dit après chaque inondation « catastrophique », chaque incendie « catastrophique », chaque accident « catastrophique », chaque attentat « catastrophique », chaque épidémie « catastrophique », chaque séisme « catastrophe », chaque naufrage « catastrophique », chaque « marée noire catastrophique »…
Oh ! Bien sûr, chaque ou presque, leçon est tirée, progrès est réalisé : meilleure coordination, meilleure harmonisation, meilleur échange d’informations, meilleure coopération…Cela rassure et donne bonne conscience…Certaines initiatives (dans le cadre de la coopération transfrontalière par notamment ou en matière de sécurité nucléaire) sont pertinentes et appréciables. Des « plan ceci » ou « plan cela » ont démontré leur utilité. Et des accords extra-européens (en Méditerranée, par exemple) valent d’être loués.
Mais qui ne connaît pas les limites de la seule coopération, de la seule concertation, de la seule addition de bonnes volontés et de la seule juxtaposition d’ « accords partiels »?
Contrairement à une idée trop répandue, ce n’est pas un réflexe souverainiste ou idéologique qui empêche la mise en place au niveau européen de structures nées de la seule nécessité aux niveaux locaux et nationaux : c’est un réflexe de conservatismes et de corporatismes…
Cela a été vrai (et le reste) au niveau des universités (moins « européennes » qu’au Moyen-âge) et de la recherche : cela est flagrant au niveau des services de police, de justice et de protection civile. Voilà des années que j’ai pu vérifier cette triste réalité : l’esprit de corps empêche trop souvent de donner corps à l’esprit…
Un « Eurocorps » des sapeurs-pompiers, des urgentistes, des secouristes ? Du simple bon sens…Un « service civil volontaire européen » ? Du simple bon sens… Il y a, certes, quelques amorces, quelques expériences, quelques embryons, quelques velléités…mais rien d’ample, de grand, de mobilisateur. Rien qui permette de donner toute son efficacité à la « dimension européenne ». A croire que bien des ONG ont des capacités d’innovation et d’organisation plus fortes que les OG…
Les projets, pourtant, n’ont pas manqué et ne nécessitent pas des travaux de préparation digne d’Hercule, des négociations sans fin qui transforment leurs acteurs en Minotaures prisonniers de Dédale, des ressources financières introuvables.
Michel Barnier, en juillet, a tenté de relancer l’idée (trop simple sans doute pour être prise au sérieux par les « bureaux » qui nous gouvernent) d’une force d’intervention rapide européenne en matière de protection et d’assistance civile.
Mais où l’a-t-on entendu ? pourtant, même sur un strict plan industriel, les fabricants européens de matériels de sécurité et de secours auraient intérêt à une harmonisation des normes en la matière. Les lances à incendie n’ont pas le même diamètre partout…
Il se trouve que ces dossiers et ces projets m’intéressent depuis longtemps. En citoyen, en journaliste et en militant européen déclaré. Ces idées avaient été lancées avec Jean -Marie Caro dans le cadre de l'UEO dans les années 80… Mais les spécialistes de la défense, à quelques exceptions près, pensent « militaire », non « civil » : les uniformes des sapeur pompiers n’ont le prestige de ceux des héros (ou des martyrs) des champs de batailles…. Pour nos stratèges, les pompiers sont aux militaires ce que les gardes-champêtres sont aux policiers…
Ces idées, je l'avais relancées en les développant, dans un livre publié en l'an 2000 : « URGENCES...112? Les pompiers! » (REP Editions). Mais les promesses politiques faites à l'époque n'ont jamais été suivies d'effet. Même le 112, annoncé comme le numéro européen de tous les SOS n’est pas pris au sérieux : celles et ceux qui y répondent n’ont pas les mêmes champs de compétences d’un pays à l’autre… Il est vrai que le marché intérieur si vanté est toujours privé de prises électriques identiques : c’est le plus vieux dossier non réglé de la vie « communautaire »… Il est des secteurs où « subsidiarité » rime décidément avec stupidité.
Elle est pourtant là, cette « Europe concrète » qu’on appelle si souvent d’une façon incantatoire et…abstraite ! Et elle n’a rien d’impossible à construire. L’Union vient, en pleine période de vacances, de démontrer, à propos de « l’eurotarif » des téléphones mobiles, qu’elle sait agir vite et bien pour le plus grand bénéfice des consommateurs-citoyens… Quand le dessein est clair, le dessin est facile
Je commentais sur RELATIO l’initiative de Michel Barnier en écrivant : « Allô Sarko? Lui qui joue les pompiers sur tous les fronts et qui aime tant l'action devrait bondir sur l'idée de son ministre. La protection civile, c'est sécuritaire et les pompiers, c'est bon pour la popularité, non? » Je persiste et signe. Je récidive, puisque le mot fait tilt en ce moment dans les sphères gouvernementales françaises, où la gouvernance par l’émotion va finir par défier la raison…
Daniel RIOT