Elle tenait le manuel dans ses mains tremblantes, accroupie devant le téléviseur, le lecteur DVD à ses pieds.
Elle tentait depuis dix minutes de comprendre, de brancher, d'installer. Elle le leur avait promis - pour demain matin tout serait prêt - elle leur promettait tant de choses en ce moment, qu'ils auraient tout comme les autres, que ce serait facile, que plus rien -jamais - ne leur manquerait, que forte d'une volonté sans bornes elle ferait en sorte que la vie glisse sur eux sans les blesser, sans les atteindre, indolore.
Elle voulait cela pour eux, et pour elle aussi à présent, une vie indolore, comme ce soir, comme leurs sommeils jumeaux à l'étage, et cette douce lueur de fin de journée qui dessine des ombres tendres sur le tapis. Si seulement, tous les moments à venir pouvaient ressembler à celui-ci. Si elle parvenait à faire fonctionner l'appareil, elle aurait demain leurs sourires, le claquement de leurs mains, leur joie pour récompense. Elle se sentirait alors enfin à la hauteur, capable d'assumer le reste, capable dans leurs yeux.
Ce mode d'emploi, des lettres blanches sur fond noir, semblait psalmodier en préambule une rengaine menaçante, "Important. Attention, très important. Lisez ces instructions avant toute utilisation et conservez-les pour votre référence ultérieure".
Garder. Ne pas jeter. Conserver. L'appareil, le manuel et tout ce qui lui rappelait eux.
"La vie continue", c'est ce que l'on dit, non ? Dans ce genre de circonstances.
On fait entrer des objets chez soi, des objets qu'il n'a pas connu, qu'il ne connaîtra jamais, et le temps, la vie - oui - continue, sans faillir. Il y aura un jour où elle tombera par hasard sur ce manuel, oublié au fond d'un tiroir. L'appareil aura disparu peut-être, elle sera vieille, ses enfants de grands adolescents renfrognés. Il y aura un jour où elle aura l'habitude de cela, le remplacer lui, le disparu, le mort, dans ces tâches là, des tâches qui jusqu'à présent lui étaient dévolues à lui, pas à elle.
Et si rien ne fonctionnait ce soir, si rien ne se passait sur l'écran, si un disque en équilibre sur ses doigts elle tentait à présent de percer le mystère, où la fêlure, d'une surface lisse pourtant neuve, ce n'était pas parce qu'elle avait mal lu la notice, ni qu'une fiche était mal enfoncée ou que le canal vidéo était introuvable. Non, si rien ne fonctionnait ce soir, elle le savait, c'était simplement parce qu'il n'était pas là, que d'ordinaire les mises en route d'appareils électronique provoquaient chez eux des disputes aussi étonnantes que rituelles, et qu'il n'y avait rien de pire que la douceur ce soir, rien de pire que le silence.
© Les écrits d'Antigone - 2009
Un texte écrit dans le cadre d'un stage d'écriture animé par Emmanuelle Pagano, ou comment utiliser un mode d'emploi dans un texte de fiction. Voilà pourquoi, aussi, elle m'a laissé un commentaire ici, qui a pour titre St Valentin mon oeil...;o))