20 février 1888/Naissance de Georges Bernanos

Par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


   Le 20 février 1888 naît à Paris, au 26 de la rue Joubert, Georges Bernanos.


  
   Image, G.AdC


MONSIEUR OUINE

   Lorsqu’il entreprend la rédaction de Monsieur Ouine, Georges Bernanos a déjà publié Sous le soleil de Satan (1926), L’Imposture (1927), La Joie (1929). Dès janvier 1931, Georges Bernanos travaille à Monsieur Ouine dont le dernier chapitre est composé de février à mai 1940. Neuf années d’un travail complexe auront été nécessaires à l’auteur pour composer son « grand roman ».


[Brouillons de Monsieur Ouine][courts extraits]

   La flamme dansant dans le. La [ main ]. Frappant de la. de son petit poing, du poing la. la table, il.il fut étonné de sentir sous. d’en. de sentir. De sentir sous. de sentir le grain. de rencontrer le bois nu de. la planche. le rugueux du bois. il s’étonne de toucher le bois nu. de toucher la planche nue. rugueuse. rencontrer la planche. le bois rugueux, la planche nue. la planche nue. Nappe, couvert. Nappe et couvert. Nappe, couvert, [bouteille de] [  ]. Le [cou] de M. Ouine. est [  ]. Le corps de M. Ouine, en app. comme démesurément agrandi. grandi. agrandi, comme sans épaisseur. plat. À quelque distance, le corps de Monsieur Ouine. Une lumière brillait devant lui. bougie. chandelle brûlait devant lui, dans un modeste. modeste bougeoir de cuivre, soigneusement astiqué. Devant lui brûlait une chandelle, dans un modeste bougeoir de cuivre. Le corps de Monsieur Ouine. À quelque distance, le corps de M.Ouine démesurément ag. comme démesurément agrandi. démesurément agrandi et comme privé d’épaisseur. se courbait ou se relevait. s’agitait en tous sens, avec une extraordinaire [  ]. agilité. s’inclinait en tous sens, avec une agilité surhumaine. Phil. Philippe.


   Un ron. ron. r. C’est comme un ron. comme un [ronronnement] qui. Une [roue] tourne. Un autre ron. Une autre voix se mêle à. voix se mêle à la première. Non c’est. c’est la même. même [roue] qui tourne avec ce ron. son [ronronnement]. tourne. tourne avec ce [ronronnement]. La voix continue de parler, mais une sorte de ronronnement [tout indistinct]. s'éteint peu à peu. s'éteint par degrés, n'est plus qu'un ronronnement indistinct. ronronnement confus, où éclate. éclate parfois. où flambe. où. où éclate. parfois éclate une voyelle,[  ].

Georges Bernanos, Brouillons de Monsieur Ouine in Le Jardin ouvrier, 1993-2003, Éditions Flammarion 2008, pp. 158-159 (textes extraits des Cahiers de Monsieur Ouine, rassemblés et présentés par Daniel Pezeril, éditions du Seuil, 1991. Copyright : Succession Bernanos).


   « Frappant du poing la table, il s’étonne de rencontrer la planche nue. Devant lui brûle une chandelle dans un modeste bougeoir de cuivre. À quelque distance, le corps de M. Ouine, démesurément grandi, s’incline en tous sens, avec une agilité surhumaine. »


   « La voix s’éteint par degrés, n’est plus qu’un ronronnement vague que scande mystérieusement chaque bref sursaut de bougie, dans un halo d’or […] Le vieil homme est loin maintenant, Dieu sait où — dans quel coin de cette maison morte ? il aime mieux l’imaginer plus loin encore, à travers champs, sur la route douce. La route !... La route ?... Qui parle de route ? Non pas celle-ci, non pas l’une de ces routes pâles, mais la sienne, sa Route, qu’il a tant de fois vue en rêve, la route ouverte, infinie gueule béante… La route ! La route ! Et face à il ne sait quelle brèche immense, pleine d’étoiles, il s’endort les poings fermés. »

Georges Bernanos, Monsieur Ouine, in Œuvres romanesques, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1961, pp. 1373-1374.


EXTRAIT de la lettre du 17 février 1999 de Ivar Ch’Vavar à Jean-Loup Bernanos :

Cher Ami,

   Il y a deux ans ou davantage que je songe à faire cette demande, mais j’ai toujours craint qu’elle ne vous paraisse exorbitante…
   Je dirige aujourd’hui une petite revue de poésie, Le Jardin ouvrier, trimestrielle…
   Et j’aimerais beaucoup, beaucoup, y publier quelques extraits de brouillons de M. Ouine, édités par Daniel Pezeril. ― À vrai dire, cette publication, je la ressens même comme nécessaire. Je serais très peiné de devoir y renoncer.
   Le Jardin ouvrier est une revue qui se propose de « recommencer » la poésie, de la « remettre en route », plutôt, alors qu’elle est bien visiblement en panne, pour le moins — certains la considèrent même comme morte.
   Ce travail de remise en route, nous l’effectuons en partant des éléments premiers de la poésie, j’allais dire de sa matérialité : les sons, le rythme, le vers, la « visibilité » du texte. — Nous accordons une importance primordiale aux problèmes de la profération, la scansion, le travail de la voix…
   Quand j’ai lu les « cahiers de M. Ouine », j’ai vu tout de suite quel intérêt ils présentaient pour les poètes. Dans ces cahiers, on voit des images se dessiner, certes, prendre forme, mais également : on entend une voix se chercher, c’est extrêmement émouvant pour qui connaît bien les textes aboutis de Bernanos, de voir et d’entendre comment ils se font, d’assister à leur terrible élaboration… Mais ces brouillons constituent en eux-mêmes un objet, une œuvre, informe, peut-on trouver (comme tel peintre peut trouver informes ses esquisses, que la postérité contemplera peut-être avec plus d’intérêt que ses tableaux) ; ils ont, ces brouillons, en tant que texte, une force considérable, et on peut découvrir dedans, j’en suis certain, quelques secrets, ou du moins quelques idées, qui aideraient à la reconstruction de la poésie. […]

Ivar Ch’Vavar & camarades, Le Jardin ouvrier, Éditions Flammarion, 2008, page 159.


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