Trente ans de révolution islamique et un excellent documentaire télévisé.
Je vous avais parlé de la première partie de l’excellent documentaire de Delphine Jaudeau (33 ans), Paul
Mitchell et Dai Richards "L’Iran et
l’Occident" diffusée le 17 février 2009.
La deuxième partie portant sur la période entre 1982 (la guerre au Liban) et 2001 (les attentats du World Trade Center) diffusée le 18 février 2009 a
été tout aussi passionnante.
Des protagonistes de grande envergure
Du côté des témoignages, toujours les acteurs de premier plan, notamment les anciens Présidents iraniens Rafsandjani et Khatami, les Secrétaires
d’État américains George Shultz, Warren Christopher, Madeleine Albright, l’émissaire français Éric Rouleau, et même François Mitterrand (enregistré en 1995). Le troisième épisode donne même la
parole à Vladimir Poutine. Il manquait sans doute le témoignage de George H. Bush (père) qu’il aurait été intéressant d’écouter.
Le Liban, base d’expansion
Très significatif, l’ancien commandant des gardiens de la Révolution, le général Moshen Rafiqdoust, qui est encore fier de parler du Liban et de la
possibilité d’exporter la Révolution islamique. Khomeiny est plutôt contre l’ouverture d’un second front au Liban (après l’Irak) mais est finalement convaincu d’aider les chiites libanais.
L’ancien commandant donne beaucoup de détails sur l’aide iranienne dans la création du Hezbollah et surtout sur l’entraînement militaire de celui-ci. En l’écoutant, on se dit que ce projet semble
avoir été son bébé et surtout, son succès.
Il parle aussi avec une certaine jubilation malsaine des attentats du 23
octobre 1983 au Liban qui ont tué 58 militaires français et plus de 250 militaires américains. Alors Vice-Président de Ronald Reagan, George H. Bush réagit ainsi : « les lâches ne dicteront pas la politique étrangère des États-Unis », ce qui montre que
les Américains ne comprennent pas beaucoup ce qu’il se passe en Iran depuis 1979.
Intérêt commun contre les talibans
La différence entre les sunnites et les chiites. Pour l’Iran chiite, l’avancée des talibans, sunnites, en Afghanistan constitue un second front inacceptable à côté de l’Irak, également
sunnite.
Ce constat constitue un intérêt commun (Iran et États-Unis) en Afghanistan, celui de réduire l’influence des talibans. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Iran exprime par la suite aux
États-Unis sa compassion et son émotion pour les victimes des attentats du 11 septembre 2001. Un moyen pour Khatami de renouer avec les États-Unis malgré le veto d’Ali Khamenei.
Un conclave pour désigner le successeur de Khomeiny
Autre incompréhension américaine évoquée dans le documentaire à propos du processus décisionnel au sein de la République islamique. Le Président
iranien n’est que le numéro deux derrière le Guide (suprême) de la Révolution, c’est-à-dire,
au début, Khomeiny.
Lors de la mort de Khomeiny, le 3 juin 1989, la République islamique est orpheline. Le second de Khomeiny, Hachemi Rafsandjani (qui a suivi six ans
des cours religieux de Khomeiny dans sa jeunesse et qui a été nommé par ce dernier commandant en chef des armées iraniennes en 1988), organise et contrôle la réunion du Conseil des experts du
lendemain, instance de 86 membres notamment chargée de choisir le nouveau Guide.
Personne ne veut être candidat ; personne ne pense être en position de se hisser au même niveau que Khomeiny. Fort habilement, Rafsandjani intervient et propose la candidature de l’ayatollah
Ali Khamenei, alors Président de la République islamique, en disant que c’est le dernier vœu de Khomeiny avant de mourir. Ce dernier s’avance vers la tribune et déclare modestement qu’il n’en est
pas capable. Rafsandjani insiste alors en demandant à ceux qui sont favorables à Khamenei de se lever. C’est ainsi que Khamenei devient le successeur de Khomeiny (le seul à ce jour).
Cet épisode, ce n’est pas un témoignage qui l’atteste, mais le film de la séance qui, pour la première fois depuis vingt ans, est diffusé
publiquement.
Inutile de dire que j’ai senti une sorte d’étonnement devant cette fonction à la fois politique et religieuse du Guide suprême, le "suprême" n’étant
pas un adjectif constitutionnel. La Constitution iranienne, qui a instauré la théocratie dans l'ancien Empire perse, avait été peauffinée par Khomeiny durant son exil en France et un conseiller
l'avait dans ses bagages lors de son retour à Téhéran.
Cette séance du Conseil des experts me faisait penser au conclave réunissant les cardinaux pour élire une nouveau pape, lui aussi religieux et
politique.
Cette désignation a permis le 28 juillet 1989 à Rafsandjani de se faire élire Président iranien (la place étant laissée vacante par Khamenei
désormais Guide et qui terminait aussi son second mandat présidentiel).
Khatami en campagne
Autre scène de démocratie iranienne : Mohammad Khatami, considéré comme un modéré et ayant dû démissionner en 1992 du Ministère de la Culture
pour ces raisons, souhaite se présenter à la succession de Rafsandjani.
Il réussit à convaincre Khamenei que sa candidature, face au candidat officiel, est bonne pour l’Iran, pour son image etc. Le Guide le laisse faire.
Khatami mène alors une véritable campagne électorale (en bus) où il rencontre les Iraniens partout dans le pays et à la surprise générale, il est élu le 23 mai 1997 avec plus des deux tiers des
voix. Jusqu’à cette élection, les candidats étaient élus sur leur notoriété nationale, pas sur leurs rencontres avec la population.
Khatami cherche à faire comprendre aux États-Unis qu’il ne peut pas explicitement esquisser une ouverture politique de l’Iran vers monde occidental
car il est limité dans son pouvoir, mais il parvient à multiplier les rencontres culturelles et sportives americano-iraniennes (ce qui montre la grande subtilité de l’homme connu pour son intérêt
pour le rapprochement des civilisations et a été nommé par Kofi Annan, Secrétaire Général de l’ONU, au Haut Conseil pour l’Alliance des Civilisations).
Khatami, qui a été réélu le 8 juin 2001 et a fini son mandat en 2005, a annoncé le 8 février 2009 sa candidature pour l’élection présidentielle du 12 juin 2009 contre le Président sortant Mahmoud Ahmadinejad (qui a été
élu le 24 juin 2005 en battant largement Rafsandjani qui se représentait).
À découvrir ou à redécouvrir
Les trois parties de ce documentaire (1978-1981, 1981-2001 et 2001-2008) sont rediffusées en continu sur France 3 dans la nuit du vendredi 20 au samedi 21 février 2009 de 01h35 à 04h40.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 février 2009)
Pour aller plus loin :
De quoi fouetter un Shah (18 février 2009).
Émission de France 3 "L’Iran et l’Occident" (17-18 février 2009).
Khatami candidat pour juin 2009.
Delphine Jaudeau au cœur de
l’Iran.
Les attentats de 1983 au Liban et le rôle de l’Iran.
Constitution de la République islamique d’Iran du 23 décembre 1979
(en anglais).
Traduction non officielle en français de la
Constitution iranienne.
(Illustrations : Ali Khamenei et synoptique des institutions iraniennes)