[Parution in Journal du Jeune Praticien n°358 de juin 1996]
Traditionnellement, la bouillabaisse était un plat populaire, prisé des pêcheurs provençaux, leur permettant d’utiliser des poissons de faible valeur marchande, en particulier ceux qu’ils ne pouvaient plus vendre parce qu’ils étaient gâtés par la « cigale de mer » (ou scyllare), un crustacé s’attaquant aux poissons pris dans les filets. Mais, tourisme et snobisme aidant, les « bas morceaux » des pêcheurs d’autrefois laissent place, dans certaines bouillabaisses actuelles, à des produits chers (comme la langouste, le bar ou le rouget). Sans parler du renchérissement, même des poissons jadis abordables par tous. Perdant ainsi son statut de repas populaire et bon marché, la « bouillabaisse de Saint Trop’ » devient donc, au contraire, un mets recherché, tendant à l’élitisme ! Situation exemplaire de récupération, par les classes aisées, d’une mode (alimentaire, en l’occurrence) venue des « petites gens ».