La justice américaine veut évidemment connaître l'identité de ces 19'000. Comment a-t-elle appris leur existence ? L'ancien gérant d'UBS, Bradley Birkenfeld, qui a quitté la grande
banque suisse en mauvais termes, pour une histoire de bonus, s'est mis à table après son arrestation, sur dénonciation d'un de ses meilleurs ex-clients. Son ancien supérieur, Martin
Liechti, responsable de la clientèle américaine d'UBS, semble avoir fait de même, tandis que le numéro 3 du groupe, Raoul Weil, était inculpé (voir article du Temps de ce jour
ici ). La justice américaine a engagé une procédure et
demandé à la Suisse l'entraide judiciaire. Rien de bien nouveau jusque là. On sait tout cela depuis l'automne.
La nouveauté - que Le Temps a été le premier à dévoiler hier - est que l'UBS a conclu un accord avec le Département américain de la justice ( ici ). Aux termes de cet accord la grande banque, pour
éviter, au moins momentanément de devoir fermer boutique sur le sol américain, ce qui la conduirait inéluctablement à la faillite, va payer la modique somme de 780 millions de
dollars au fisc américain (380 millions de dollars de restitution de profits indûment réalisés et 400 millions de dollars d'impôt fédéral anticipé qu'elle aurait dû retenir), mais surtout, et
c'est là où le bât blesse, elle va livrer 250 noms de clients, au mépris du secret bancaire et du droit suisse.
Comme je le rappelais dans mon article du 22 octobre (La Suisse, paradis fiscal ? Si seulement... ) : " La Suisse
fait une distinction entre la fraude fiscale et l'évasion fiscale. L'évasion fiscale consiste à omettre de déclarer une partie de sa fortune ou de ses
revenus. Elle n'est qu'une infraction administrative. Les Suisses et les résidents étrangers sont sanctionnés par une amende ou un rattrapage, les étrangers non-résidents ne sont pas
sanctionnés et les banques n'ont pas le droit de renseigner le fisc étranger dans ce cas-là. La fraude fiscale consiste à soustraire frauduleusement des contributions au moyen de
titres faux, falsifiés ou contenant de fausses indications. La fraude fiscale est punissable pénalement. Les banques doivent renseigner l'autorité judiciaire suisse ou étrangère à la demande d'un
juge suisse compétent."
Or les clients américains, dont les noms vont être livrés à la justice américaine, ont fait recours devant le Tribunal administratif fédéral (TAF) contre la divulgation de leurs noms. Le TAF
ne s'est pas encore prononcé pour décider s'il s'agit de leur part, et en l'occurrence, d'évasion fiscale ou de fraude fiscale. Sans attendre le jugement du TAF, "c'est la FINMA,
l'autorité de surveillance bancaire en Suisse, qui a directement autorisé UBS à livrer ces 250 noms de clients, en vertu de l'article 26 de la loi sur les banques " (voir Le Temps
ici ).
Que dit l'article 26 de la loi sur les banques ( ici ) ?
Mesures
protectrices
1
La FINMA peut prendre les mesures protectrices suivantes, notamment:
a. donner des instructions aux organes de la banque;
b. nommer un chargé d’enquête;
c. retirer aux organes leur pouvoir de représentation ou les démettre de leurs
fonctions;
d. révoquer la société d’audit au sens de la présente loi ou l’organe de révision
institué par le CO
e. limiter l’activité de la banque;
f. interdire à la banque d’opérer des paiements, d’accepter des versements ou
d’effectuer des transactions sur titres;
g. fermer la banque;
h. accorder un sursis ou proroger les échéances, sauf pour les créances gagées
des centrales d’émission de lettres de gage.
2
Elle fait publier ces mesures de manière appropriée lorsque la publication est
nécessaire à l’exécution des mesures ou à la protection de tiers.
3
Le sursis déploie les effets prévus à l’art. 297 LP93, dans la mesure où la FINMA
n’en décide pas autrement pour ce qui est du cours des intérêts.
Il n'est nulle part indiqué que la FINMA peut autoriser la banque, pour se protéger, à lever le secret bancaire. De plus, selon l'avocat zurichois Andreas Rüd, cité par Le Temps,
défenseur de clients américains d'UBS, en matière d'entraide judiciaire pour fraude avérée, seule l'Administration fédérale des contributions (AFC) est compétente pour donner suite à
des demandes d'entraide judiciaire.
Hypocritement il semble que les noms seront livrés par l'entité américaine d'UBS et qu'ainsi il n'y aura pas à strictement parler violation du secret bancaire helvétique. De qui se moque-t-on ?
En effet les dits clients américains semblent n'avoir eu de relations qu'avec UBS en Suisse... Il n'est d'ailleurs pas sûr qu'UBS ne se voit pas demander la livraison des 18'750 autres noms
de clients.
Cet après-midi le Conseil fédéral s'est contenté de constater que la FINMA "assume ses responsabilités et que les organes suisses de surveillance fonctionnent". En fait le gouvernement,
s'étant porté au secours de l'UBS, est bien obligé maintenant de tout faire pour qu'elle ne tombe pas, y compris d'approuver que le droit suisse soit foulé aux pieds et que le secret
bancaire soit levé dans des conditions plus que douteuses.
Les conséquences risquent d'être incalculables pour toute la place financière helvétique. Ainsi la réaction de la Commission européenne ne s'est-elle pas fait attendre (voir Le
Temps ici ) et ne fait que
souligner les retombées possibles : "Nous accueillons très favorablement l’assistance offerte par UBS au fisc américain. Nous demandons à ce que des demandes similaires en provenance de pays
membres de l’Union ne soient pas traitées différemment par les banques et les autorités helvétiques." a déclaré Maria Assimakopoulou, porte-parole du Commissaire européen à la fiscalité.
Tous les partis politiques suisses se sont élevés contre cette levée scandaleuse du secret bancaire, y compris les socialistes qui regrettent toutefois la définition suisse du secret bancaire.
Seuls les Verts, par la voix de leur président, Ueli Leuenberger, ont trouvé juste que les Etats-Unis soient fâchés que l'UBS ait favorisé la fraude et l'évasion fiscale. L'UDC n'a pas manqué de
rappeler qu'il était de plus en plus urgent d'inscrire le secret bancaire dans la Constitution fédérale (voir 24 Heures ici ).
Cette levée du secret bancaire, qui n'aurait pas eu lieu si le Conseil fédéral n'était pas intervenu pour sauver l'UBS, risque de coûter très cher et de conforter les maîtres-chanteurs européens
dans leurs exigences.
Francis Richard